Sylvain Creuzevault avait marqué les esprits avec la grande fresque révolutionnaire de son spectacle « Notre terreur ». Le jeune metteur en scène, dont la manière politique et offensive de faire du théâtre n’est plus à démontrer, s’attaque dans cette nouvelle création à la figure du savoir universel : Faust. L’Anti Faust de Creuzevault et son démon, Angelus Novus, interrogent avec acuité le temps présent, les 15 et 16 décembre 2016 au théâtre des Louvrais à Pontoise. Rencontre avec Arthur Igual, comédien.

Par Fannie Joëts

 

Angelus novus ©
Pouvez vous nous présenter « Angelus Novus » ?

La pièce s’appuie sur trois personnages, notamment un neurologue et une biologiste, dont les destins tout tracés par leurs études, excellent dans leurs domaines d’activités. Un jour, poussés par des démons nommés « Angelus Novus », les trois acolytes se retrouvent dans le tourbillon d’une crise existentielle remettant en question la nécessité de toutes ces connaissances. Une révolte qui va effriter leurs certitudes et leur permettre d’enclencher une bifurcation afin de ne plus être pétris par ce que propose la société à propos de leurs savoirs. Une question se pose alors, comment se séparer de cette connaissance lorsqu’elle nous passionne, que l’on en tire une reconnaissance et qu’elle fait partie de nous? C’est alors que se livre une lutte entre ceux qui détiennent ces acquis et leurs démons intérieurs.

Comment avez vous imaginé ce spectacle?

« Angelus Novus » fait suite à notre précédent spectacle « Le capital et son singe » lui même écrit sur les bases du texte “Le capital” de Karl Marx. Cette création abordait le sujet de la société libérale et de son organisation marchande. Pendant les répétitions, nous avions travaillé sur la notion du « savoir» en tant que marchandise et autour de la valeur qu’il revêt. Nous trouvions que le mythe de Faust était une bonne manière d’aborder ce thème.

Vous faites référence au mythe de Faust, pouvez vous nous donner quelques clés afin de comprendre toutes les subtilités de la pièce?

Faust est le héros d’un conte populaire allemand, mis en scène dans deux pièces de théâtre par Goethe au 19ème siècle. Dans ce mythe, Faust y est présenté comme un homme admiré par le peuple pour sa sagesse et épris d’une connaissance couvrant tous les domaines. Ce personnage omniscient déplore cependant l’insignifiance de son savoir face à son incapacité à profiter de la vie. Il signe alors un pacte avec le diable afin de s’en affranchir. Dans notre société actuel capitaliste, la marchandise du savoir est au contraire précieuse, nous nous sommes donc demandés ce que deviendrait ce mythe dans notre monde actuel.

 

Angelus novus ©

De quel façon Sylvain Creuzevault a-t-il réussi à transposer cet Anti-Faust sur scène?

Le spectacle fait se succéder de nombreuses formes théâtrales. Tantôt très encadrées en lumière et en jeu, parfois plus improvisées. La trame était de faire passer ces personnages momifiés, figés et reconnaissables en tant que porteurs de savoir dans une espèce de voyage épique à travers de multiples univers. On débute par exemple avec une scène naturaliste assez drôle et légère, puis on entre dans des scènes fantasmagoriques ou encore allégoriques avec des personnages que l’on ne rencontre qu’au théâtre. C’est une pièce protéiforme, la réussite a justement été d’imbriquer ces différents genres entre eux. Cela peut être déroutant pour le spectateur, mais il ne faut pas s’attacher à une forme en particulier, c’est toute la richesse de ce spectacle.

Pour quelles raisons dit-on de cette pièce qu’elle est subversive?

Probablement parce que cette pièce s’appuie sur une analyse critique d’une société de travail dont les absurdités sont mises en avant. Une critique dans le sens de décortiquer et de regarder avec distance et humour les événements d’actualité : c’est un théâtre du présent. Nous l’avons écrit au printemps, pendant les manifestations contre la loi travail et durant la période “Nuit debout” avec cette idée de démocratie participative qui se développait. Cela s’est imprégné dans notre écriture, bien que cela n’était pas le projet initial. Par ailleurs, il me semble important que ces personnages, en tant que fuite de leur savoir, soient également confrontés au pouvoir car c’est véritablement le thème du Faust : le savoir et le pouvoir.