Deux ouvriers épuisés par le destin, une « artiste » sensuelle et évanescente, un baron de pacotille : toute la condition humaine, pathétique et cocasse, en un chassé-croisé fugace et fantasmagorique, le 11 octobre au Théâtre 95.

11 octobre - L'linterventionDans cette œuvre géniale aux multiples facettes, la dimension grotesque et une indiscutable drôlerie cohabitent avec l’amour si manifeste d’Hugo pour l’humanité et la délicatesse avec laquelle il la regarde. De cet amour naît aussi sa révolte. Révolte devant les injustices, dont les ressorts n’ont rien perdu aujourd’hui de leur actualité.
La force poétique et la saveur toujours ludique de l’écriture hugolienne font remonter, dans cette comédie aux allures de vaudeville, une vision profonde et fine de la manière dont les rapports politiques se retrouvent, intériorisés, dans les rapports amoureux, de la manière dont, jusqu’au plus intime, chacun peut être le jouet des illusions sociales.
Mais la pièce et son auteur restent invinciblement optimistes. L’humour et la tendresse préservent l’espoir et, les rêves dissipés, il reste le réel – où tout redevient possible.

Marcinelle et Edmond forment un couple d’ouvriers misérables. Il est éventailliste, elle est dentellière. Ils se font des « scènes », se reprochant l’un à l’autre d’être l’un et l’autre attirés par les beaux messieurs fortunés et les belles dames en toilettes, tandis que plane entre eux, emblème d’une profonde déchirure, le souvenir de leur petite fille, morte faute d’avoir pu être soignée à temps. L’irruption de mademoiselle Eurydice, chanteuse de cabaret visiblement entretenue, et du baron de Gerpivrac, son « protecteur», va venir leur révéler ce qu’il en est de leur amour…

Arnaud Laster, dans la préface à son édition du Théâtre en liberté, écrit qu’il s’agit là d’un « théâtre qui attend peut-être encore d’être reconnu pour ce qu’il est, une des séries de pièces les plus géniales du répertoire dramatique ». Au cœur de cette série géniale, on trouve en effet, comme un bijou dans son écrin, un chef-d’œuvre en un acte : L’Intervention. Quatre personnages, cinq scènes, une combinatoire à la fois amoureuse et sociale, grotesque et tragique, réaliste et poétique, où Hugo se fait précurseur d’une grande partie du théâtre moderne, qu’il s’agisse de celui, satirique, de Karl Valentin, de celui, politique, de Brecht, ou bien encore du théâtre dit de l’absurde (la mansarde où se déroule la pièce résonne par moments d’accents beckettiens et de délires à la Ionesco) ou même des expériences presque documentaires de Lars Norén (on pense aussi à Claudel, et à Edward Albee).

Cette tentative d’un « théâtre du quotidien » bien avant la lettre a incontestablement valeur d’« intervention » de la part de son auteur, de prise de position. Elle est, tout en restant souvent cocasse, une dénonciation des aliénations et des déterminations, elle expose clairement un point de vue critique sur l’ordre social, sur la domination des femmes par les hommes aussi. Elle est, même, un cri de colère… Si notre contexte social n’est plus celui du Second Empire, il n’est pas certain que tout le scandale en soit aujourd’hui épuisé, et il est sûr en revanche que L’Intervention met en œuvre l’un des ressorts les plus nécessaires du théâtre moderne : la révolte.