Un repas de noce va avoir lieu ce soir dans une petite ville. C’est un repas grandiose, bourgeois. Des centaines d’invités, un cadre exceptionnel, un événement… au Théâtre 95 le 9 avril.

NOCE-26On ne sait pas qui ils sont, on ne le saura pas. Tout est à inventer de ce côté-là. Il n’y a pas de prison dramaturgique, pas de carcan psychologique, pas d’action entre eux à organiser, ils sont au-delà de ces questionnements-là.

Ils forment cinq entités abstraites, puis une sorte de meute.

Cinq être rejetés, à la frontière de la Noce, cet événement indistinct, rite social, sorte de fête funèbre dont on ne sait rien, ou presque, une seule chose, mais fondamentale : ces cinq-là n’y sont pas invités.

Ce qui est convoqué alors par l’auteur ce sont des identités disparates, dont une narratrice. Autour d’elle, l’enfant, le Monsieur, l’Homme, la Femme, la Dame, comme paumés sur un champ de mines, exclus du regroupement social.

Ils vont s’approcher, se rebeller contre cet état de fait, cette injustice, peut-être formeront-ils alors une meute, pour pouvoir entrer, pénétrer le sacro-saint espace de la fête sociétale. Ils vont ruser, se rapprocher, intégrer la fête coûte que coûte, piller.

Cela va dégénérer, se casser la gueule de partout, parce que ces cinq là, une fois dedans, n’y éprouvent pas la satisfaction fantasmée. Ils s’y lâcheront comme on lâche les chiens, parce que c’est ce que tout un chacun devient vite dans ces circonstances, plongé dans la foule, rapetissé à force d’être en groupe, chacun rabaissé au dénominateur commun du plus dangereux et du plus bête. C’est ce qu’ils sont ces cinq-là, des animaux sociaux, des chiens comme tout le monde.

NOCE-40L’espace de la fête de la noce pourrait être du côté de l’avant-scène, à la lisière des rangées des spectateurs, juges et parties, d’abord invités, puis exclus à leur tour quand ces cinq-là prendront le pouvoir. Noce est une drôle de pièce de combat, qui met à l’épreuve le rôle du spectateur.

Jean-Luc Lagarce écrit Noce comme Buñuel filme Viridiana. Sans concession, sans merci, sans tomber dans aucun piège de la dénonciation moralisatrice, le bien du côté des exclus, le mal du côté des nantis, et on compatit, merci pour tout et à bientôt. Il écrit Noce comme Les Prétendants, fables politiques, satires ou contes, sans pitié pour personne. Le mal, l’ordure, c’est le système, qui pourrit tout, et tout le monde. C’est une fête macabre, où l’humanité vire au carnage quand elle comprend son erreur, piégée par le système.

La noce, c’est un banquet, une table rectangulaire, une nappe blanche et des tas de trucs et de machins par dessus. Et c’est inaccessible. Lointain, objet de ressentiments et d’envies. Il y a les tracés lumineux au sol, qui empêchent, excluent. Des lignes de lumières crues, violentes, qui bougent. Des carrés de lumières, découpes, où les figures de Lagarce sont enfermées, puis qui s’élargissent, dangereusement, quand elles se rapprochent de la noce, jusqu’à l’atteindre, jusqu’à la dévaster.

Noce est une pièce chorale, frontale, musicale. Beaucoup de paroles, une situation unique, peu d’action si ce n’est que tout dégénère tout le temps.

C’est un poème d’indignation, de révolte, de combat, absurde et drôle, très déconnant. C’est une fête et une conflagration que l’on doit quitter enjoué, atteint, pas tout à fait semblable. La mise en scène doit pouvoir inventer une forme, une narration active, une action permanente qui visera au bouleversement des rôles de chaque côté de l’avant-scène, et qui décalera sensiblement les regards sur ce qui domine, qui devra bousculer notre appréhension de la « propagande dominante », de tout ce qui est du bon côté contre tout ce qui n’y est pas.

Pierre Notte, metteur en scène, décembre 2014

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De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène de Pierre Notte
Compagnie La Porte au trèfle
Avec Annick Le Goff, Héloïse Lo, Laura Clauzel, Grégory Barco, Bertrand Degrémont
Création lumière – Aron Olah
Dramaturgie : François Berreur
Assistante à la mise en scène : Amandine Sroussi

 

Jean-Luc Lagarce

Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est actuellement l’auteur contemporain le plus joué en France. Metteur en scène de textes classiques aussi bien que de ses propres pièces, c’est en tant que tel qu’il accède à la reconnaissance de son vivant. Depuis sa disparition, son œuvre littéraire (vingt-cinq pièces de théâtre, trois récits, un livret d’opéra…) connaît un succès public et critique grandissant ; elle est traduite en vingt-cinq langues.

 

Pierre Notte

Pierre Notte, né à Amiens en 1969, est auteur, compositeur, metteur en scène et comédien.
Il est conseiller et auteur associé du Théâtre du Rond-Point depuis 2009.
Il est auteur associé au Prisme, communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, de 2012 à 2015. Il est auteur en résidence au Théâtre Jean Arp de Clamart en 2014-2015.

Il est artiste associé à DSN, Dieppe scène nationale, en 2013-2014. Il a été de 2006 à 2009 secrétaire général de la Comédie-Française. Il a exercé les professions de journaliste, rédacteur en chef. Il a été nommé à trois reprises aux Molières dans la catégorie « auteur ». Il est lauréat du prix Émile Augier décerné par l’Académie Française, du prix « Nouveau Talent Théâtre SACD 2006 » et du Publikumspreis 2009 du Blickwechsel, regards croisés de Karlsruhe, Allemagne.

En 2011, il a fondé la compagnie “La Cie des gens qui tombent”, avec pour parrains Judith Magre et Fernando Arrabal. En 2012, il est lauréat de l’association Beaumarchais et il a reçu le soutien du Centre national du Théâtre pour sa pièce « Demain dès l’aube ».

Il est Chevalier dans l’ordre des arts des lettres.

 

La presse en parle

« … Pierre Notte est un écrivain qui monte en puissance. (…) Pierre Notte, jeune homme doux et sensible, écrit pour les comédiens et encore plus pour les comédiennes. Il saisit les personnages dans leur profondeur, leur complexité… » Le Figaro

Armelle Héliot, à propos des Couteaux dans le dos, précédente pièce de Pierre Notte

 

photo ©Barbara Sanson