Paroles du dedans du metteur en scène Olivier Brunhes tente d’adoucir la violence des murs qui enferment les corps et les esprits, ceux des prisons de notre pays en rendant possible le déploiement, à l’extérieur, entre témoignage et fiction, de l’imaginaire des détenus, jeudi 10 et samedi 12 décembre au théâtre des Arts à Cergy.

Fidèle à son exploration des marges, le metteur en scène Olivier Brunhes se penche cette saison sur l’univers carcéral. Il invite des détenus de la Maison d’arrêt du Val d’Oise à écrire puis à jouer, aux côtés d’acteurs professionnels, le texte de la création Paroles du dedans (Le Fleuve). De l’expérience du dedans à la fiction adressée à ceux du dehors… Deux représentations exceptionnelles permettent à ces bribes de l’intérieur de s’échapper et de nous toucher, comme un éclair, avant que les auteurs-comédiens, autorisés à sortir, ne regagnent leurs cellules pour la nuit…
« Des détenus, acteurs de leurs propres vies »unnamed

Il aurait pu se contenter d’un joli parcours de comédien (Ariane Mnouchkine, Maurice Bénichou, Joël Pommerat, et, pendant 15 ans, avec Laurent Terzieff). Avec L’Art éclair, qu’il a fondé en 2004, Olivier Brunhes a tenu à ce que le théâtre aille à la rencontre de ceux que la société met en marge, sans rien renier d’une exigence artistique convaincue. Fracas, en 2013, a ainsi été conçu avec des personnes en situation de handicap ou en rupture sociale. L’univers carcéral – « un monde où sont réunies toutes nos misères » – devient aujourd’hui matière et sujet d’un spectacle où, à la suite d’ateliers d’écriture, des détenus de la maison d’arrêt du Val d’Oise vont devenir, aux côtés d’artistes confirmés, « acteurs de leurs propres vies. »

 

Note d’intention
« Où est notre première souffrance, demandait le philosophe Gaston Bachelard ?  C’est ce que nous avons hésité à dire… Elle est née dans les heures où nous avons entassé en nous des choses tues. »

La prison est le lieu des histoires, de toutes les histoires. Lorsqu’on est enfermé, on raconte, on se la raconte, il n’y a rien d’autre à faire.  On commence par balancer des lieux communs, par parader avec les mots –la langue de bois carcérale en vaut d’autres- et puis, au détour de l’invention, une lumière voit le jour. Il était une fois… Dans le monde carcéral, l’espace libérateur, solitaire, est lié à la nuit. Dans le silence de la nuit, pointe le rêve qui abolit les murs. L’échappée belle, sous un faisceau puissant de lune, libère les corps et les esprits. Comme le reflet d’une étoile dans une flaque huileuse sur un terrain vague. L’enfermement convoque l’infini.

La prison est le reflet obscur de notre société. Nous y retrouvons toutes les dysfonctions du temps. De l’excès de vitesse au terrorisme radical, de la folie de l’argent à celle du sexe, toutes les addictions, tous les dérèglements y sont représentés. Derrière les hauts murs est dissimulé un monde de souffrances et de douleurs, un monde où sont réunies toutes nos misères –morales, affectives, psychiques, économiques, culturelles. La prison est un bouillon de culture mortifère.

J’ai voulu entendre ce monde, y entrer. Comme on va dans l’arrière-cuisine pour voir comment naissent les plats. J’ai voulu, l’espace d’un moment, proposer un autre scénario aux détenus qui ont accepté d’écrire et de bâtir ce spectacle avec moi. Leur proposer de changer d’images, puisque dans la violence ou le fantasme, dans le désespoir et la misère, se mettent en place des scénarii, des schémas intérieurs, des fictions –qui sont toutes mauvaises et conduisent au pire. Avant de passer à l’acte, on se représente le monde. J’ai donc proposé aux détenus de changer de représentation du monde. De ne plus travailler contre, mais avec lui, pour lui. D’inventer sa vie, de la maîtriser, de donner plutôt que de prendre, l’espace d’un spectacle.

Paroles du dedans, c’est aussi la parole des femmes qui vont au parloir, les règlements, celle des membres de l’administration pénitentiaire. Entre les murs, la difficulté carcérale est commune à tous.

Le spectacle revêt un caractère pluridisciplinaire. Musique et chorégraphie sont intimement liées au texte. Un musicien et une danseuse évoluent sur le plateau avec les comédiens. Parce qu’il ne s’agit pas de « restituer » une forme de théâtre documentaire.

Paroles du dedans est une fiction, car le champ poétique est – par nature – celui de la liberté.  Nous articulons ce spectacle autour de l’univers sonore de David François Moreau. Nous travaillons dans un espace dépouillé, cerné de murs. La lumière, du dehors au dedans, souligne l’enfermement des corps et des voix.
Olivier Brunhes

Paroles du dedans – Olivier Brunhes – Cie L’Art Éclairparoelsdudedans_01

Texte et mise en scène : Olivier Brunhes

assistanat à la mise en scène : Séverine Vincent

avec Baptiste Amann, Pierre Berriau, Olivier Brunhes, Noémie Ettlin, Nathanaël Favory, Kemso, David François Moreau, Séverine Vincent, Vincent Winterhalter

musique : David François Moreau

chorégraphie : Noémie Ettlin

scénographie et lumières : François Duguest

costumes : Olga Kovalevsky

 

extrait
« Mon sac de couchage illuminé de lumière, je pense à ma mère, à son sourire, à son visage. Et sa confiance et son amour sont une couverture.
Petit, je courais partout.
Parfois, elle vient frapper à la porte de mes rêves. Ma mère, c’est mon secret.
Je me lève souvent pour apprécier une vue étroite sur le ciel. Les hommes se basent sur des points lumineux dans le ciel pour découper l’espace et le temps.
Dans mes cauchemars, je fais aussi une course poursuite avec moi-même.
Je voudrais rattraper le soleil d’enfance
Je voudrais danser sous la pluie.
Je voudrais tourner le dos à la mort. Renaître de mes cendres.
Mais le réel me rattrape, il m’attache.
Abattu, allongé sur le béton glacial, personne ne peut m’ôter mes pensées.
Dans ma tête, je suis comme un oiseau. Je sais naviguer dans le ciel. Je connais la caresse du vent.
Mais le réel me rattrape, il m’attache
Ici, je ne perçois rien qu’un brouillard de larmes.
Le temps tourne.
Le temps gifle.
Le temps avance et se pavane.
Le temps prend son temps.
On dirait qu’il s’acharne.
Je dois me réveiller.
Le temps part et ne revient pas. »

 

Autour du spectacle : Rencontre – débat  « L’art en prison »

rencontredebat_lartenprisonEn écho au spectacle Paroles du dedans, la compagnie L’art éclair et L’apostrophe vous convient à une rencontre exceptionnelle : l’auteur et metteur en scène Olivier Brunhes, l’auteure Nancy Huston, l’ancien détenu et rappeur Kemso, l’ancien détenu et auteur du livre Repris de justesse Yazid Kherfi, ainsi que deux représentants de l’Observatoire International des Prisons, se réunissent et ouvrent le dialogue, guidés par la journaliste Aurélie Kieffer. Interrogeant la porosité entre l’intérieur et l’extérieur, ils questionnent les possibilités de décloisonnement, par l’art, du monde carcéral.
samedi 12 décembre à 17h • entrée libre

Biographies
Olivier BRUNHES, écrivain et dramaturge. Auteur et metteur en scène de Paroles du dedans
Autodidacte, Olivier Brunhes croise sur son chemin Ariane Mnouchkine, Jean Genet, Joël Pommerat… Il est acteur pour Antoine Bourseiller, Jean Marais, Daniel Lemahieu, Jean-Pierre Mocky, Bertrand Tavernier, Serge Moati, Koffi Kwahulé, William Nadylam… et tourne également pour le cinéma et la télévision. En 1984, il rejoint la troupe de Laurent Terzieff auprès de qui il travaille pendant une quinzaine d’années. Il a réalisé deux films, mis en scène plusieurs spectacles, publié de nombreux ouvrages. En qualité d’artiste intervenant pour le Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis, il anime des ateliers auprès de détenus à la Maison d’arrêt de Villepinte.
♦ œuvre de référence : La nuit du chien (roman, Acte Sud, 2012)

Nancy HUSTON, écrivain
Née en 1953 à Calgary au Canada, Nancy Huston s’installe à Paris à l’âge de vingt ans. Elle travaille alors à un mémoire de maîtrise sous la direction de Roland Barthes. Proche du mouvement féministe, elle écrit dans les mêmes années pour différents journaux et revues. Romancière et essayiste, elle ne peut dissocier travail théorique et création littéraire. Elle a publié de nombreux romans, récits, pièces de théâtre, œuvres pour la jeunesse, essais.
Nancy Huston et Olivier Brunhes ont été invités par l’Observatoire International des Prisons à participer à l’ouvrage collectif Passés par la case prison paru aux Éditions La Découverte en 2014. Cet ouvrage rassemble huit textes bruts en forme de portraits, nés de la rencontre d’auteurs avec des anciens détenus. Le récit de Nancy Huston s’intitule : Excusez-moi, mais je voulais qu’il soit bien mort, celui d’Olivier Brunhes : Silence rompu.kemzo
♦ œuvres de référence : Lignes de failles (roman, Acte Sud, 2006), L’espèce fabulatrice (essai, Acte Sud, 2008), Danse noire (roman, Acte Sud, 2013)

KEMSO, ancien détenu, comédien de l’Art éclair, rappeur
Ancien détenu, rappeur, Kemso a travaillé avec la compagnie de l’Art éclair à l’occasion de plusieurs spectacles : Fracas en 2013, Le jour qu’on attend en 2015 et actuellement Paroles du Dedans.

Yazid KHERFI, ancien détenu, consultant en prévention urbaine, enseignant à l’Université Paris X Nanterre, auteur du livre Repris de justesse
Après quinze années sur des chemins escarpés et cinq années de détention, Yazid Kherfi s’engage en faveur d’une démarche de développement social local, à travers son activité de consultant en prévention urbaine notamment. Auteur des ouvrages Repris de justesse (2000) et Quand les banlieues brûlent (2006) parus aux Éditions La Découverte, il cherche avant tout à établir des dialogues, à encourager une véritable citoyenneté active.Yazid