Ils sont ouvriers et bientôt en âge de partir en retraite. Fatigués par leur activité manuelle, ces derniers rejettent en bloc la réforme des retraites qui prévoit le recul de l’âge du départ à 64 ans. Malgré la défense de ce modèle par le député de la majorité du Val-d’Oise, Dominique Da Silva, ils comptent battre le pavé ce jeudi aux côtés des syndicats et du parlementaire (Nupes), Carlos Martens Bilongo.

« Tout au long de ma carrière, je n’ai participé qu’à trois ou quatre manifestations. Mais, celle-là, je ne la raterais pour rien au monde », fulmine l’argenteuillais Mohammed Achoui. Ancien ouvrier de l’usine PPG à Bezons, licencié à la suite d’un plan social, il compte bien répondre à l’appel à la grève et à la manifestation lancé par les syndicats ce jeudi 19 janvier. Un mouvement qui s’annonce très suivi, notamment par le personnel enseignant et ferroviaire des réseaux francilien et national.
 
L’objectif est clair : mettre à l’arrêt le pays pour lutter contre la réforme des retraites, annoncée par la première ministre Elisabeth Borne le 10 janvier dernier. Annonce phare du second quinquennat d’Emmanuel Macron, celle-ci prévoit le recul de l’âge du départ à la retraite à 64 ans, contre 62 ans aujourd’hui, avec une durée de cotisation à 43 annuités pour obtenir un taux plein. Elle doit également revaloriser la pension retraite à hauteur d’un minimum de 85 % du smic, soit environ une centaine d’euros brut en plus par mois.
 

Soulager les carrières longues

« J’ai 58 ans et je suis fatigué », dénonce Mohammed Achoui qui a commencé à travailler à 19 ans. Superviseur de production pour le groupe PPG, spécialisé dans la fabrication de mastics pour les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique, il pensait que « ce serait [sa]dernière entreprise avant de partir à la retraite ». Licencié avant l’heure, celui qui est aussi élu à la CFTC doit revoir ses plans et chercher à nouveau du travail. « Comme j’ai commencé tôt, je pouvais partir à 60 ans avec une pension incomplète mais suffisante pour moi. Là, je dois faire neuf mois de plus », regrette-t-il.
 
Pour autant, le député au sein de la majorité sur la 7e circonscription du Val-d’Oise, Dominique Da Silva, se veut rassurant : « les carrières longues seront plutôt préservées et se feront au cas par cas ». Si les contours de la réforme restent encore à préciser, les âges des départs anticipés sont déjà annoncés. Ceux ayant débuté leur activité avant 16 ans pourront partir à 58 ans ; 60 ans pour les carrières commencées entre 16 et 18 ans ; 62 ans pour les personnes qui ont démarré entre 18 et 20 ans.
 

« C’est comme s’ils voulaient nous faire mourir avant notre départ »

Ce n’est pas suffisant aux yeux de Manuel Lafit, mécanicien à l’usine Placoplâtre. Lui aurait déjà pu partir à la retraite mais il a décidé de rester pour terminer son mandat à la CGT. Il va souffler ses 62 bougies en avril prochain et, fort de ses 42 ans de carrière, ressent des douleurs physiques liées à son activité manuelle. « Mes genoux, mon dos, mes mains me font mal. Je ne me serais pas vu travailler une à deux années de plus », reconnaît l’homme. Mohammed Achoui abonde en ce sens. Auparavant secrétaire du comité social et économique de son entreprise, le syndicaliste est formel : « 15 % de l’ensemble des salariés de site de Bezons avaient au moins une invalidité ».
 

Le député (Renaissance), Dominique Da Silva affirme que les critères de pénibilité seront élargis.

Une observation qui corrobore avec les chiffres du ministère des solidarités et de la santé donnés en 2018. D’après ce service de l’Etat, 34 % des ouvriers souffrent d’une invalidité dès leur accès à la retraite. Soit, la catégorie socioprofessionnelle la plus touchée. Le superviseur Mohammed Achoui va encore plus loin puisqu’il parle en amont de ses quelques collègues décédés avant d’avoir atteint la retraite. « C’est comme s’ils voulaient nous faire mourir avant notre départ. On ne peut pas mettre tous les métiers dans le même sac », commente Manuel Lafit qui se « voit mal vivre jusqu’à 80 balais ».
 
Si le député Dominique Da Silva « comprend » leur position, l’élu insiste sur un point. « Avec la réforme, les critères de pénibilité seront assouplis et ouverts à plus de monde. Le gouvernement va ouvrir un fonds d’investissement d’1md d’€ à l’usure professionnelle », affirme-t-il. Sans en dire beaucoup plus, Dominique Da Silva cite notamment l’élargissement des seuils du travail de nuit ou encore plus de prise en compte des poly expositions. « On entrera dans le détail au moment du débat parlementaire », assure-t-il.
 

« Cette réforme est injuste pour les plus modestes »

De l’autre côté de l’échiquier politique, le député (Nupes) Carlos Martens Bilongo n’y croit pas vraiment. A l’image de son parti, il défend la retraite à 60 ans, avec 40 annuités. Un modèle qu’il compte porter ce jeudi avec les autres manifestants. « Cette réforme est injuste pour les plus modestes. C’est très difficile de travailler déjà jusqu’à 50 ans quand on est serveur, ouvrier, chauffeur,… On parle de personnes qui finissent leur vie soit avec un handicap, soit avec une invalidité », se désole l’homme de gauche qui représente l’est du Val-d’Oise, soit un des territoires les plus précaires du département.
 
Dominique Da Silva rappelle que le système de retraite est actuellement « déficitaire ». « Le seul moyen de sauver le système par répartition, sans augmenter les cotisations et baisser les pensions, est que les Français travaillent un peu plus. Comme dans les pays voisins », arbitre le parlementaire. Un argument que son opposant Carlos Martens Bilongo balaie d’un revers de main : « Il y a d’autres façons de trouver de l’argent. Par exemple, il faut rétablir l’impôt sur la fortune dont on n’observe toujours pas de réel impact en matière de création d’emplois depuis sa suppression ».
 

L’insoumis Carlos Martens Bilongo, député sur la 8e circonscription du Val-d’Oise, défend plutôt le modèle d’une retraite à 60 ans.