Le plan de déconfinement présenté par Édouard Philippe mardi après-midi, interroge les acteurs de tous les secteurs.

« Il nous faut progressivement, prudemment mais aussi résolument procéder à un déconfinement aussi attendu que risqué et redouté ». D’emblée, Édouard Philippe a donné le ton lors de son discours au sein de l’Assemblée nationale mardi après-midi. Le déconfinement sera très partiel et incertain. « Si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai, ou nous le ferons plus strictement », a précisé encore le Premier ministre.

 

Adopté à 368 voix pour et 100 contre dans une assemblée largement acquise à sa cause, ce plan se décompose en plusieurs étapes. La première, qui s’étend du 11 mai au 2 juin, comporte plusieurs annonces. 

 

Une carte des départements verts et rouges

C’est la grande nouveauté annoncée ce mardi. Dès le jeudi 30 avril, une carte distinguant des départements verts et rouges sera dévoilée chaque soir par le Directeur général de la santé. Vert représentant les territoires où le virus circule de façon limitée et rouge, ceux où le virus circule beaucoup. En fonction des résultats, on saura à compter du 7 mai prochain, si les règles de confinement doivent être plus stricts ou non. Le Premier ministre a tout de même rappelé que « la majorité des mesures de précaution s’appliqueront partout ». 

 

Pour dresser cette carte, trois ensembles de critères ont été retenus par la Direction générale de la santé et Santé publique France : le taux de cas dans la population sur une période de sept jours, les capacités hospitalières en réanimation et le degré de préparation du système local de tests et de détection des chaînes de contamination. 

 

En effet, le gouvernement souhaite rehausser sa capacité de tests hebdomadaires à 700 000. « Le conseil scientifique nous dit à ce stade que les modèles épidémiologiques prévoient entre 1 000 et 3 000 nouveaux cas chaque jour à partir du 11 mai, justifiait Édouard Philippe, chaque cas nouveau prévoit le test d’au moins 20 à 25 personnes l’ayant croisé dans les jours précédents. On aurait donc besoin de 525 000 tests par semaine, ce qui nous laisse une bonne marge ».

 

En ce qui concerne les masques, ils ne seront pas obligatoires, sauf dans les transports publics. Mais le Premier ministre a estimé « préférable dans certaines circonstances de porter un masque plutôt que de ne pas en porter ». Il a également promis « assez de masques dans le pays pour faire face aux besoins à partir du 11 mai ». Ces derniers seront disponibles en grandes surfaces, à près de 3€ pour un masque lavable plusieurs fois et moins d’1€ pour un masque à usage unique. 

 

Les déplacements interrégionaux et interdépartementaux seront limités à 100 km du domicile sauf motifs familiaux, impérieux ou professionnels. L’attestation de déplacement, elle, devrait disparaître au déconfinement. 

 

« On sent bien que l’État n’est pas prêt »

Sur l’éducation, Édouard Philippe propose « une réouverture très progressive des maternelles et écoles élémentaires à partir du 11 mai, partout sur le territoire et sur la base du volontariat ». Le 18 mai, seuls « les départements où la circulation du virus est très faible » pourront de nouveau accueillir les collégiens de 5e et de 6e, précise-t-il. Ils devront être munis d’un masque. Quant aux lycées, aucune décision n’a encore été prise mais les lycées professionnels devraient être les premiers à réouvrir. Invité de Franceinfo ce mercredi matin, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a précisé que « les enseignants porteront un masque lorsqu’ils font cours ». 

 

Ces annonces passent mal auprès de la FCPE du Val-d’Oise. Son vice-président, Philippe Renou, regrette un manque de concertation de la part de l’exécutif. « Nous avons des tas de questions mais jamais de réponses », déplore-t-il. Très inquiets des conditions d’accueil des élèves, une majorité de parents d’élèves aurait déjà indiqué ne pas emmener leurs enfants à l’école le 11 mai prochain. « On voit passer de petites choses rigolotes avec des marquages au sol mais au fond, on sent bien que l’État n’est pas prêt », estime Philippe Renou. 

 

Père de deux filles en seconde et terminale au lycée Louis-Armand d’Eaubonne, l’informaticien refuse catégoriquement leur retour en classe. « De toute façon, notre département sera sûrement dans le rouge donc elles ne risquent pas de reprendre tout de suite », pense-t-il. 

 

« On aurait souhaité avoir un peu plus de directives précises »

Philippe Tissier, directeur de l’union des maires du Val-d’Oise depuis 2002, partage le même avis : « Je n’imagine pas un seul département d’Île-de-France dans le vert ». Celui qui est également officier de réserve dans la gendarmerie nationale, côtoie des maires « très inquiets de toutes les responsabilités qu’on leur met sur le dos avec ces réouvertures d’écoles ».

 

« Qui doit approvisionner en masques, comment organiser le périscolaire, les transports publics ? », liste Philippe Tissier. Se pose également la question de la responsabilité civile des édiles en cas de contamination à l’école. « Je ne pense pas que ça irait au bout mais certains parents pourraient engager des poursuites judiciaires », imagine-t-il.

 

En apportant des réponses « relativement floues et peu précises », selon Philippe Tissier, l’exécutif laisse une marge de manoeuvre importante aux élus locaux. « On est conscients que l’administration centrale ne peut pas nous apporter toutes les réponses mais on aurait souhaité avoir un peu plus de directives précises », déplore-t-il au nom des maires du Val-d’Oise. 

 

Les bars et restaurants toujours fermés

Du côté des restaurants, cafés et bars, l’ordre du jour est toujours à la fermeture. Pour Nora Boulal, directrice du restaurant Les délices d’Essaouira à Montmorency, « il était de toute façon hors de question de reprendre ». « Je ne suis pas prête, abonde-t-elle, pas mal de gens autour de moi ont été touchés par le Covid-19 et je ne me vois pas accueillir des clients si c’est pour tout nettoyer derrière eux toutes les 30 secondes ». Si elle a bien essayé des configurations de tables différentes, plusieurs questions restent en suspens. « Est-ce que je dois séparer les couples d’un mètre de distance ? », s’interroge-t-elle. 

 

Il est tout simplement « inenvisageable » pour cette maman de trois enfants de reprendre « tant qu’on n’est pas sûrs que le virus ait disparu ». Or, les factures s’amoncellent et les quelques commandes à emporter ne suffisent pas. « J’ai des loyers en retard, je suis consciente que demain je vais devoir rembourser mes dettes mais aujourd’hui, je pense d’abord à ma santé et celle de mes clients », justifie Nora Boulal. Elle tient à remercier l’État de « jouer le jeu » avec les reports de charges. 

 

En attendant, elle maintient le lien avec sa clientèle. « J’ai reçu beaucoup de messages de soutien et c’est très important de sentir qu’on est entourés », positive la gérante. Son frère, directeur du restaurant Le Marakesh à Saint-Brice-sous-Forêt, est dans la même situation. « On s’appelle tous les jours et on se soutient mutuellement », déclare-t-elle

 

Les petits musées de nouveau ouverts, les festivals annulés

Si « les médiathèques, les bibliothèques, les petits musées, si importants pour la vie culturelle des territoires, pourront rouvrir leurs portes dès le 11 mai, déclarait Edouard Philippe mardi après-midi, à contrario les musées qui attirent un grand nombre de visiteurs hors de leur bassin de vie, les cinémas, les théâtres et les salles de concert où l’on reste à la même place dans un milieu fermé ne pourront pas rouvrir ». 

 

Les grandes manifestations sportives et culturelles, notamment les festivals, ne sont pas épargnés non plus. Seuls les événements regroupant moins de 5 000 personnes pourront se tenir avant le mois de septembre. 

 

Pascal Escande, directeur du festival d’Auvers dont la 40e édition devait se tenir fin mai, reproche un manque de clarté au gouvernement. « On était déjà fixés avec le discours du président de la République, le lundi de Pâques, mais Franck Riester [ministre de la Culture, ndlr]annonçait récemment que de petits festivals pourraient se tenir avec moins de 50 personnes espacées de plus d’1m de distance… Ça ne veut absolument rien dire », estime-t-il. 

 

S’il comprend cette décision, il reproche un « tâtonnement » et un « cafouillage » qui auraient laissé de faux espoirs aux festivaliers.  « De toute façon, l’épidémie est là, on ne peut rien y faire », analyse-t-il, amer. 

 

La 40e édition du festival aura bien lieu l’année prochaine avec déjà « 70% des artistes programmés cette année », rassure le directeur. La virtuose Khatia Buniatishvili offrira également un récital de piano le 17 décembre, en lieu et place de sa représentation de juin. « J’espère que nous serons débarrassés de cette épidémie d’ici-là », conclue Pascal Escande.