De plus en plus de consommateurs se questionnent sur la qualité de ce qu’ils mangent. Perturbateurs endocriniens, pesticides, huile de palme, que ce soit en matière de santé ou d’environnement, de multiples études scientifiques tirent la sonnette d’alarme sur les méfaits de notre mode de production alimentaire. Face à cela, des citoyens prennent les choses en main, sans attendre qu’on le fasse à leur place. Un Nouveau Monde voit le jour et avec lui, des solutions concrètes et immédiates. Ces initiatives prennent vie juste en bas de chez vous, à Cergy-Pontoise.

Par Fannie Joëts

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Avez-vous déjà croisé, à Cergy ou dans ses environs, un de ces petits panneaux sur lesquels est écrit « Nourriture à partager » ? Planté devant un bosquet ou dans des jardinières installées dans la rue, l’écriteau vous indique que la cueillette de légumes et de plantes aromatiques est ici libre et gratuite. À l’origine de cette initiative : Les Incroyables Comestibles. Ce mouvement citoyen planétaire vise à transformer nos espaces urbains inutilisés et cultivables en potagers ouverts à tous. Chacun peut participer aux plantations, les entretenir et même les récolter. Aucune adhésion à une quelconque association n’est nécessaire, juste l’envie de faire et de partager.

 

À Cergy-Pontoise, ce sont les habitants des villes de Courdimanche et de Jouy-le-Moutier qui se lancent les premiers dans cette aventure citoyenne en 2013. La commune appuie cette initiative en distribuant gratuitement, aux citadins qui le souhaitent, des composteurs, lombricomposteurs, bacs de plantations, poulaillers et même des poules ! Une opération à l’époque unique en France favorisant l’émulation autour des Incroyables Comestibles. La ville de Cergy leur emboîte alors le pas et l’on compte aujourd’hui une trentaine de jardins alimentaires aux quatre coins de l’agglomération.

 

50 % D’ACTIONS DE PLANTATION PARTAGÉE, 50 % DE PÉDAGOGIE

À la différence des jardins familiaux déjà existants, où chacun s’occupe de sa propre parcelle, ou encore des jardins communautaires dont l’accès est limité à certaines personnes, la particularité des espaces investis par Les Incroyables Comestibles réside dans le fait qu’ils soient gracieusement ouverts à tous. Les notions de partage et de pédagogie font partie des piliers de leur charte. Ici, l’idée n’est pas seulement de produire de la nourriture saine en suffisance, mais aussi de recréer du lien social. Un certain « vivre ensemble », dans un monde où bien souvent les voisins de palier ne s’adressent même plus un « bonjour ». Une volonté de transmettre un savoir-faire oublié et pourtant essentiel.

 

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Élisabeth Mauger est référente des Incroyables Comestibles sur les 13 communes. Elle participe notamment à l’organisation d’ateliers réalisés dans le parc Gérard Philipe à Cergy. Ces formations sont proposées afin d’accompagner les novices, mais aussi les plus aguerris, vers des techniques de jardinage respectueuses de l’environnement comme la permaculture. « Il y a un côté pédagogique qui fonctionne, les gens redécouvrent qu’on peut avoir un accès à la terre très facilement, on apprend comment planter et à quelle saison. C’est important de sensibiliser chaque personne à l’influence de la nourriture sur leur santé et sur la planète, souligne Élisabeth Mauger. Certains dans l’équipe se sont d’ailleurs reconvertis à la culture biologique, ils en ont même fait leur métier et continuent d’intervenir bénévolement sur les ateliers gratuits. »

« APRÈS DEMAIN, ON FAIT QUOI ? »

Cette expérience participative, peut-être en aviez-vous déjà entendu parler auparavant à travers le documentaire Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion, sorti en 2015. Le film débute dans la ville de Todmorden en Angleterre, là où tout a commencé pour Incredible Edible, autrement dit Les Incroyables Comestibles en Français.

 

C’est ainsi que l’on apprend comment, en 2008, des mères de famille, habitant cette ville en plein déclin économique, décident de se retrousser les manches afin de faire face à cette période de crise. D’un simple pied de rhubarbe planté dans un bac de fleurs, ce sont aujourd’hui des centaines d’espaces cultivés en « open source » qui nourrissent la ville. Une nouvelle forme d’agriculture urbaine est ainsi née et cette commune s’autoalimente désormais à hauteur de 83 % !

 

Libres de droit Crédit photo Incroyables Comestibles France

 

Cette petite graine de bon sens, François Rouillay l’a importée en France en 2011 pour la semer aux quatre vents. Cet ancien consultant en politique publique vit à cette période un sursaut de conscience, face à la crise écologique dévastatrice qu’il découvre à travers plusieurs reportages scientifiques. À 53 ans, il devient coordinateur national, puis mondial du mouvement qu’il développe pendant près de cinq ans. Dans la foulée, il fait vivre l’expérience Incredible Edible aux auteurs du documentaire Demain, qui donnera lieu à la première scène du film.

 

DES INCROYABLES COMESTIBLES À L’AUTONOMIE ALIMENTAIRE DES VILLES

Les Incroyables Comestibles ont depuis germé dans plus de 500 communes en France et 25 pays dans le monde. Pour François Rouillay, il est donc temps d’enclencher la vitesse supérieure, celle d’une vision à l’échelle de la ville et du territoire où les pouvoirs publics s’engagent à leur tour : « On est passé à la phase deux. Après le film Demain, les gens se sont posé la question « Mais après Demain, on fait quoi ? » Il a alors fallu envisager d’écrire la suite du film, la suite de la nourriture à partager dans les villes. Nous proposons aujourd’hui de rejoindre le calendrier de Todmorden. C’est-à-dire d’atteindre l’autonomie alimentaire en trois ans, de sorte que 80 % de ce qui arrive dans nos assiettes proviennent du local, sur un délai d’approvisionnement d’une heure environ, et que les 20 % restants, comme les oranges, les bananes ou le café, soient importés du commerce équitable. À ce moment-là, on a une alimentation 100 % éthique. »

 

À l’heure où les dérèglements climatiques sont capables de paralyser la région parisienne lors d’épisodes neigeux, François Rouillay juge bon de rappeler que l’Île-de-France a seulement trois jours d’autonomie alimentaire. Et de donner un exemple flagrant des failles de notre mode de fonctionnement actuel : « Si pour une raison économique, sociale ou environnementale, le circuit d’approvisionnement mondialisé s’arrête, que se passe-t-il ? À combien estimez-vous la durabilité de votre territoire avec trois jours de stock de nourriture ? Il y a moins de cent ans, avant la guerre, la plupart de nos villes étaient en autonomie alimentaire. En 50 ans, on a tout abandonné pour un système de production de monoculture dans une offre mondialisée. On a fait du labour en profondeur avec des pesticides, des insecticides, des fongicides qui ont eu pour conséquence la mort des sols. C’est un écocide aujourd’hui reconnu. 80 % des insectes ont été décimés et 420 millions d’oiseaux se sont éteints ces 30 dernières années. Si les pollinisateurs comme les abeilles disparaissent à leur tour, les sols ne seront plus en mesure de produire de la nourriture et que deviendra l’humanité ?, interroge François Rouillay ? On est face à un enjeu majeur de survie de notre propre civilisation. Donc, le retour à l’autonomie alimentaire par une agriculture naturelle et respectueuse du vivant est incontournable pour l’avenir. »

 

« PASSER DE L’OFFRE MONDIALISÉE À LA DEMANDE LOCALISÉE »

L’autonomie alimentaire des villes consiste donc non seulement en la relocalisation de notre nourriture, mais également en la préservation de la biodiversité. François Rouillay et Sabine Becker ont ainsi développé une feuille de route avec 21 actions pour tendre vers l’autonomie alimentaire. Un Agenda 21 à l’Horizon 2020, que des villes comme Albi et Rennes ont déjà adopté avec succès. Ces communes seraient en capacité à présent de nourrir leurs écoles et hôpitaux avec des aliments bio, grâce à l’acquisition de terres agricoles dans un périmètre de 80 kilomètres. L’abondance de leurs récoltes commencerait même aujourd’hui à leur permettre de vendre leurs productions sur les marchés.

 

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« Les communes qui se sont engagées voient déjà un modèle économique vertueux apparaître. Les retombées sont immédiates en termes de création d’emploi et de régénération des sols. C’est un changement de polarité quand on passe de l’offre mondialisée à la demande localisée, ajoute François Rouillay. Aujourd’hui, on travaille à l’échelle de 1 200 villes sur 40 pays. En France, on approche les 800 programmes participatifs citoyens et 40 municipalités délivrent le permis de végétaliser, un permis qui officialise et dynamise la démarche des Incroyables Comestibles. Ce sont autant de villes candidates au retour à l’autonomie alimentaire. Grenoble, Tours, Bayonne et même un ensemble de 70 communes près d’Alès s’apprêtent à franchir le pas. Ce sont des territoires entiers qui s’y mettent. »

 

Sur l’agglomération de Cergy-Pontoise, Vauréal souhaite faire partie de ces villes nourricières. Il y a un an, François Rouillay y fut invité pour une conférence. Il a mis en terre pour l’occasion, non pas la première pierre, mais la première plante dans leur jardin partagé pédagogique. À ce jour, le projet n’a pas encore pris son rythme de croisière, mais de nombreuses activités, notamment proposées par la Maison de la Nature, participent à la sensibilisation du public.

« LA CONFÉRENCE DE FRANÇOIS ROUILLAY A CHANGÉ MA VIE »

Patrice Lebrun est un habitant de Vauréal. Il a assisté à cette conférence dont il garde un souvenir fort : « En mars dernier, François Rouillay a changé ma vie ! J’ai commencé, dès le lendemain de sa présentation, à faire de la permaculture dans mon jardin et sur la zone publique à côté de chez moi. Il y a un formidable espoir pour les gens, même ceux qui n’ont pas un petit bout de terrain comme moi. C’est extraordinaire. La permaculture, c’est tout à fait l’opposé de la culture intensive. Les champs à quelques mètres de chez moi, cela fait plus de 2 000 ans qu’on les cultive. Quand je suis né, on pouvait y trouver environ deux tonnes de vers de terre par hectare et aujourd’hui, quand il y en a entre 100 et 120 kilos, on est content. Il faut donc réagir. Cet homme a complètement changé ma vision de l’humanité. » Patrice Lebrun organise, depuis, des casse-croûtes de quartiers pour partager ses récoltes et ses connaissances. Il ouvre également ses portes à l’occasion des Rendez-vous aux Jardins qui se déroulent le premier week-end de juin.

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D’autres villes dans l’agglomération se préoccupent de l’autonomie alimentaire. À Courdimanche, Sylvette Amestoy, élue en charge de la transition durable, nous confie que cette dynamique aurait tout intérêt à s’enclencher à l’échelle de la communauté de communes. La ville accompagne actuellement l’installation d’un nouveau maraîcher et l’ouverture d’un magasin coopératif « Coop’Oise », le premier du département qui permet à ses adhérents de faire des commandes groupées directement auprès des producteurs, bio ou locaux. Elle soutient également de nombreuses initiatives, notamment dans les écoles autour d’ateliers de permaculture et prochainement d’aquaponie, une technique associant l’élevage de poissons et la culture de végétaux hors-sol. La commune vient aussi d’acquérir un hectare de vergers, en plus des Grands Jardins déjà en accès libre et gratuit, où des moutons en pâturage urbain ont pu s’approprier les lieux. Une grande fête de la récolte est prévue fin septembre avec des ateliers pour apprendre à jardiner bio, découvrir le rucher municipal et la biodiversité de la mare, parler permaculture ou encore troquer ses plantes.

 

LE COCOTT’ARIUM : AVEC DU VIEUX, IL FAIT DU N’OEUF

À Neuville-sur-Oise, le Cocott’arium fait sa part et amène de l’eau au moulin. Installé depuis janvier 2018, ce concept novateur de poulailler urbain qui recycle est unique en France. Le principe est simple : les habitants apportent leurs déchets alimentaires qu’ils déposent dans un collecteur pour nourrir les poules. Du personnel dédié assure l’entretien et la collecte des oeufs, que chacun peut ensuite réserver et acheter. Actuellement en phase de test, le projet souhaite répondre aux besoins des consommateurs, désireux d’acheter local et de manger sain, mais participe également au recyclage des déchets et à la création d’emplois.

 

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Vous savez désormais qu’avec ou sans un jardin, il est possible de mettre la main à la terre et de se reconnecter à la nature à quelques pas de chez vous. De l’initiative citoyenne à l’engagement des villes vers l’autonomie alimentaire, il n’y a qu’un pas. Celui du changement de regard sur notre façon de consommer, de produire et de vivre. Et si l’on souhaite encore entendre chanter les oiseaux au printemps, c’est à l’action qu’il faut passer. À vos marques, prêts, cultivez…

 

LA PERMACULTURE : UN JEU D’ENFANT !

Saviez-vous que l’on pouvait faire pousser des légumes sur du béton, à même le sol ? Cela peut paraître étonnant et pourtant c’est tout à fait réalisable grâce à la permaculture. En alternant feuilles mortes, bouts de bois et tonte du jardin puis en arrosant, il est possible de créer de la terre fertile en seulement 100 jours, et même d’y produire des centaines de kilos de légumes ! L’expérience est à la portée des enfants. Découvrez comment réaliser La marelle nourricière de François Rouillay en 5 étapes avec ce tutoriel.

 

 

LES RENDEZ-VOUS DU DIMANCHE AU JARDIN PÉDAGOGIQUE DU PARC ANNE ET GERARD PHILIPPE À CERGY
  • 5 - gardening-1645815_12801er et 2 avril à 14h (sous reserve) Réalisation d’un drain d’évacuation et d’une mare.
  • 8 avril à 14h Apprendre à semer et à planter en pleine terre.
  • 29 avril à 14h Semis de démarrage du compostage et mini conférence sur le compostage.

 

Infos pratiques : Chemin du Bac de Gency Quartier Bords d’Oise à Cergy

Contact : Elisabeth Mauger 06 66 88 31 37