A l’occasion du 25e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl et dans le contexte de celle de Fukushima au Japon, Europe Ecologie Les Verts organise une action symbolique mardi à 18h30 sur le parvis de la préfecture de Cergy, au pied de la tour EDF Val d’Oise. Docteur en physique atomique et moléculaire, membre de CRIIRAD et ancien Vice Président « Europe Ecologie – Les Verts » de la Communauté d’Agglomération de Cergy Pontoise, Marc Denis revient sur le danger de cette énergie et se demande, après les Etats-Unis, la Russie et le Japon quelle grande puissance nucléaire va devoir payer le prix d’un tel choix énergétique.
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RÉFLEXIONS DE DEUX MANIFESTANTS:
POURQUOI NOUS ÉTIONS À MALVILLE LE 31 JUILLET 1977.
Article paru dans « La Baleine », journal des Amis de la Terre de France; 1977.
Par Christian Jodon, fondateur des Amis de la Terre du Val d’Ysieux et Madeleine A., co-animatrice.
(Version 2008).
1.- PREMIÈRE RÉFLEXION
Comme Vital Michalon, nous sommes enseignants. Comme Vital Michalon, nous enseignons les sciences et nous ne pouvons passer pour des personnes sous-informées. Comme Vital Michalon, nous sommes allés à Malville en manifestants non-violents, ni casqués ni armés. Comme lui, nous aurions pu trouver la mort dans les fangeuses collines de Faverges.
Comme lui nous avons agi par pur idéalisme. Quel avantage matériel tirerions-nous en effet de l’abandon du nucléaire, nous qui sommes si heureux d’être chauffés par le fuel ou l’électricité ? Quel bénéfice aurions-nous à consacrer nos vacances à casser du bois dans les forêts voisines ? Quel bénéfice aurions-nous à réduire chez nous l’éclairage, à modérer l’utilisation de notre véhicule ? (À noter cependant que nous avons joint Le Val d’Oise à Morestel par le train et à bicyclette, histoire de montrer que, le cas échéant, nous pourrions bien abandonner la voiture.)
Nous avons une vie quasi-bourgeoise, confortable, nous avons chacun une maison, la télé, une voiture, un poste radio, un électrophone… Par quel masochisme pourrions-nous œuvrer à perdre cela, un jour, peut-être ? Et un beau métier que nous aimons… Dame! Galilée n’a-t-il pas été contraint de dire que le Soleil tournait autour de la Terre… sous peine de perdre son métier en divulguant une vérité pas bonne à dire… Pour l’époque!
Mais nous sommes venus.
Parce que nous avons chacun deux enfants.
Parce que par amour de la Vie nous avons contribué à mettre au monde quatre enfants.
Parce qu’ayant appris à onze ans, le 6 août 1945, qu’Hiroshima était survenu et que nous avons néanmoins commis le geste d’espoir de donner la Vie.
Parce que nous avons chacun deux enfants mis sur la Terre qui en 1977 tourne désormais sans inquiéter personne autour du Soleil, mais en portant assez d’ogives nucléaires pour détruire cinq fois l’Humanité ! ( Sean Mac Bride, ORTF, le 6 mars 1977). Les seuls Russes et Américains ont entassé 24.387 ogives nucléaires valant chacune au moins cinquante Nagasaki… ( SIPRI, Stockholm, 1976 ). Personne ne s’en inquiète davantage…
Nous sommes venus, parce que nous sommes atterrés par la responsabilité que nous avons prise en jetant quatre innocents que nous adorons dans ce monde furieux où des gouvernants mégalomanes ne rêvent que d’assurer leur domination par la possession de l’ultime violence: le nucléaire.
2.- DEUXIÈME RÉFLEXION
Le Monde, 26 juillet 1977, page 9: un entrefilet: » Plus de 100 kilos de plutonium ont « disparu » en Grande-Bretagne ». En 23 lignes on lénifie: on ne fera pas de bombes avec ces 100 kilos qui sont perdus dans les déchets des centrales nucléaires.
Un homme de la rue ne saurait réagir à une telle information, surtout présentée dans un coin de bas de page.
Mais nous, nous savons: alors nous décryptons! Nous savons que ce Plutonium perdu est d’autant plus dangereux qu’il « ne servira pas » à fabriquer la bombe. Car précisément, il ne sera pas « confiné » dans des ogives nucléaires. Car s’il ne sert pas à faire 15 ou 16 bombes »Nagasaki », c’est qu’il a été ou sera, a échéance, dispersé dans la biosphère.
Avec Donald Geesaman, ce savant américain qui dit: » La dispersion de 20 à 100 kilos de plutonium par an est un désastre complet pour l’espèce humaine. » Avec John Gofman et Arthur Tamplin, René Dubos (savant américain né près de chez nous, dans l’Oise), avec Georges Wald, Christian Anfinsen (Prix Nobel), André Cournand (Prix Nobel), Max Delbruck (Nobel), Paul Flory (Nobel), Polykarp Kush (Nobel), Severo Ochoa (Nobel), William Stein (Nobel), Albert Szent-Gyorgyi (Nobel), Harold Urey (Nobel), avec Barry Commoner, notre maître-à-penser l’Écologie…
Avec James Watson, prix Nobel de Médecine, notre maître-à.-penser la Biologie…
Avec Linus Pauling, prix Nobel de Chimie et antinucléaire…
Avec Hannes Alfven, prix Nobel, maître-à-penser de la physique et antinucléaire…
Avec Carl J. Hocevar, responsable de la Sécurité de l’A.E.C. ( le CEA américain), démissionnaire de son poste le 22 septembre 1973…
Avec Dale Bridenbaugh, Gregory Minor, Richard Hubbard, trois ingénieurs de la seconde compagnie nucléaire du monde: « General Electric » où ils gagnaient 15.000F par mois, qui ont démissionné le 4 février 1976 en déclarant: » Nous devons arrêter toute nouvelle construction et ré-examiner sérieusement celles qui existent. Un vigoureux programme d’économie d’énergie donnerait plus de résultats que le programme nucléaire »…
Avec Lew Kowarski, un des fondateurs du CEA et qui l’a rappelé l’année dernière, nous savons surtout qu’un millionième de gramme de plutonium suffit à tuer un homme ».
Avec Jean Rostand.
Avec Haroun Tazieff qui a démontré dans un rapport sur l’énergie géothermique qu’on pourrait chauffer avec les calories terrestres presque tous les logements français. Il y a de ça presque 20 ans: c’était en 1959. L’usine nucléaire de Marcoule débutait à la même époque…
Avec Jean-Yves Cousteau qui vient de dire: » Les promoteurs du nucléaire sont des idiots technocrates qui jouent au Meccano avec la vie humaine »…
Avec Alain Bombard qui a dit: » La France est le seul pays au monde pensant seulement au nucléaire dans la diversité des ressources d’énergie »…
Avec Hermann Kahn de l’Institut polytechnique du Massachussett qui a dit: » La pollution et la surpopulation feront de l’an 2000 une catastrophe »…
Avec Alfred Kastler, Prix Nobel français de Physique qui a dit: » L’espèce humaine court à son suicide »…
Grâce à tous les savants qui ont stigmatisé le danger nucléaire: nous savons!
Nous savons que les cent kilos de plutonium perdus dans la biosphère par les Anglais égalent cent milliards de doses létales virtuelles. Cent milliards de morts humaines potentielles.
Nous savons que dans 24.390 ans (période ou temps de demi-vie du plutonium), ce même transuranien égaré représentera encore 50 MILLIARDS de morts humaines potentielles.
Dans 50 000 ans (25 fois de Jésus-Christ jusqu’à nous soit une éternité à l’échelle humaine) cet isotope perdu par les Grands-Bretons (et les autres ne font pas mieux!) sera encore capable de tuer 25 milliards d’hommes. Et si à cette époque les hommes ne sont pas plus nombreux qu’aujourd’hui (4 milliards en mars 1976) chacun aura de quoi contracter 6 fois le cancer avec cette seu1e perte anglaise qualifiée de « disparition liée à des incertitudes de calculs »! Et si les Hommes pullulent jusqu’à 12 milliards et davantage, même posologie avec le Plutonium produit d’ici là… sur une planète exsangue…
Alors, comme ça, nous devrions faire confiance à des technocrates qui basent leur pari nucléaire sur des « incertitudes de calcul » … comme le dit plus loin, le Monde du 26 juillet 1977, même article, mais cette fois en caractères de moins d’un millimètre de corps! Quelle importance l’homme de la rue peut-il accorder à un texte écrit si petit!. Nos journalistes d’opinion le savent bien qui titraient en manchette les jours suivant la Manif de Malville:
France-Soir: « La dramatique journée de Malville » sur 68 mm de hauteur;
Le Parisien: « Ecologie : OUI, Violence:NON » sur 80 mm de hauteur…
Donc Le Monde du 26 juillet nous apprend à voix basse que « ce n’est pas le première fois que des pertes de matières fissiles sont signalées: les Américains en ont reconnues plusieurs d’importance.. » Pays Anglo-saxons: tout se sait; pays latins: tout se tait! Omerta institutionnalisée! Presse monopolisée…
Et le plutonium des 24.387 ogives russo-américaines, où sera-t-il passé dans cinquante mille ans? En fait, nous devrions dire dans 243.900 ans car on estime qu’il faut dix périodes pour qu’un radio-isotope devienne inactif. Mais nous voyons bien que tous ces braves gens ont déjà bien de la peine à accorder 50 000 ans de survie à l’espèce humaine! « Après moi le déluge ! », comme disait le Bien-Aimé. Le calcul est simple et pourrait être fait par des élèves du cours préparatoire: c’est la biosphère empoisonnée par le poison universel pour toujours! L’homme de la rue, vue sa répugnance à compter des opérations, ne fait pas ce calcul et c’est pourquoi nous redouterions tellement les résultats d’un référendum nucléaire !
Et le plutonium de la Bombe d’Ali Bhutto (ou successeurs) qui a dit: « Nous mangerons de l’herbe mais nous aurons la bombe ». Et la bombe de Bokhassa 1er, Empereur ?
Leprince-Ringuet, savant nucléaire (et pro-nucléaire) écrit: » Je ne sais pas ce qui se passera dans les vingt ans qui viennent. Amin Dada aura-t-il sa bombe atomique? Ceux qui placent des charges de plastic dans des valises à l’intérieur des consignes des gares le remplaceront-ils par de petites bombes atomiques ? »
Vous savez mieux que nous qu’il n’est pas besoin de ces bricolages, M. Leprince-Ringuet: n’importe quel sel d’un radioélément déversé dans la Seine ou dans le réservoir de (…) ferait bien mieux l’affaire. La nappe de Grenoble était déjà contaminée cet automne dernier.
Leprince-Ringuet dit encore: » …nous savons qu’il y a des risques et je vous redis ma conviction: on ne peut progresser si on n’accepte pas certains risques. … Non, les risques ne peuvent pas être tous calculés. »
Nietzsche disait: « Il faut vivre dangereusement. » Qu’on lui livre Leprince-Ringuet!
Mais nous , pauvres petits écologistes militants, nous ne savons qu’une chose: même si nous avions le droit de choisir pour nous et nos contemporains le dangereux nucléaire, nous n’avons, de toute façon, pas le droit de l’imposer à nos enfants ni aux enfants de nos enfants… !
3.- TROISIÈME RÉFLEXION
Perdus dans la multitude, face à l’armée suréquipée du Superphénix, nous pensons à cela.
Nous disons « la multitude » et voulons redresser ici une fausse information officielle reprise par les journalistes d’opinion. Dimanche 31 juillet 1977, nous sommes partis de Courtenay à 10h30. Nous avions choisi, de marcher en fin de colonne parce que nous emmenions, malgré l’interdiction des organisateurs, nos enfants. Les imbéciles nous disent déjà que ça n’était pas leur place! Et les enfants de Seveso, c’était leur place? Et les tendrons d’Hiroshima le 6 août 1945, c’était leur place? Et les poupons de Genève, Chambéry, Grenoble, de Lyon en 1982, à 50 ou 60 km du Superphénix, ça sera leur place?
A 10h30, la tête de cortège piétinait dans la boue de Faverges. Là-haut, à Courtenay, les organisateurs « tassaient » les manifestants par crainte que le cortège ne soit scindé par les CRS. Il y avait donc devant nous un cortège continu sur 9 kilomètres de route. Neuf mille mètres. Une photo publiée en première page du « Dauphiné libéré » du 1er août montre ce que le journaliste appelle « l’un des cortèges en marche près de Courtenay »; en fait, une minime portion, 100 mètres de cortège, un centième de la procession. On peut y estimer a cinq les manifestants par mètre linéaire. On reste à coup sûr au-dessous de la vérité.
Calcul: 9000 fois 5 = 45 000 personnes. Les 45000 qui marchaient devant nous lorsque nous avons quitté Courtenay. Ajoutez ceux qui suivaient, à perte de vue lorsque nous avions bien marché. Ajoutez ceux qui venaient de Montalieu et ceux qui s’étaient entassés au Devin de Faverges, face aux CRS. ceux qui coupaient à travers champs, à travers bois, hors des chemins… C’est arithmétiquement à un minimum de 50.000 qu’il faut chiffrer les manifestants. Alors pourquoi les rapports officiels minimisent-ils les chiffres, suivis par les journalistes d’opinion. Qui veut-on rassurer? A-t-on peur que les Français sachent l’ampleur des dangers nucléaires? l’ampleur de la contestation antinucléaire en France ?
En France, non ! en Europe. Autour de nous, nous l’attestons: sans arme ni casque (à part quelque poignée maigre et inorganisée d’excités banals), que de Belges, d’Anglais, de Hollandais; que de Suisses, de Danois, d’ltaliens, de Suédois, d’Espagnols !… En majorité des intellectuels sans doute? Étudiants et enseignants: l’internationale spontanée de l’intelligence anti-nucléaire. Nous le prétendons sans fausse modestie, face à ce journaliste d’opinion qui nous a traités « d’idéalistes de rencontre », de « pauvres belles âmes », de « chiens dévorants du fanatisme », de « pauvres apprentis sorciers »… Beau métier que celui de l’Information !
Parlons-en des apprentis-sorciers: de ceux qui fondent leurs centrales sur des « incertitudes de calcul » et des « risques incalculables » acceptés pour nos descendants, pour vos descendants innocents dont tout le monde se moque… hormis nous, les manifestants!
Au passage, rendons un hommage. Depuis 1940, nous gardions une vieille haine pour « le Boche ». « Boche » qui a dispersé nos familles de Londres à Koenigsberg pendant cinq ans. » Boche » par qui nous avions failli mourir étant enfants, périr de faim, de froid, de peur, dans les exodes et les bombardements… Eh bien ! Nous ne dirons plus jamais « les Boches ». Tandis que nos lycéens se doraient la couenne sur les plages d’Italie, de belles jeunes filles blondes et leurs idéalistes compagnons d’Outre-Rhin sont venus prendre leur place dans la manif de Malville. Ils nous ont réconciliés avec l’Allemagne.
4.- QUATRIÈME RÉFLEXION
Chaque fois que nous vendons une centrale nucléaire à l’étranger, nous lui vendons aussi ses déchets, donc le Plutonium, donc la bombe.
U238/92 + 1 neutron: N1/0 >>> U239/92 + Gamma + Bêta- >>> Np239/93 + Bêta- >>> Pu239/94
En simplifiant (notamment l’écriture), c’est la suite de réactions nucléaires montrant comment l’Uranium se transforme en Plutonium dans les piles atomiques et le cœur de centrales nucléaires.
Aucune Agence de Vienne ne saurait contrôler avec exactitude la production de plutonium. Le Monde du 26 juillet 1977 nous l’a involontairement démontré.
Avec Georges Rathjens, Professeur à l’Institut technologique du Massachussett qui a dit: » Avec le meilleur contrôle qui soit vous ne pourrez jamais détecter avec certitude tout le plutonium. Une partie pourra toujours être détournée clandestinement pour la fabrication des bombes. » Nous le savions déjà.
Avec Harry Truman, Président des Etats-Unis et commanditaire d’Hiroshima, qui a dit en 1945: » Le problème numéro un du monde sera désormais la prolifération de la bombe atomique. »
Avec Vital Michalon, Professeur de Physique et Officier de réserve donc bien placé pour le savoir lorsqu’il lui est échu, le 31 juillet 1977, d’être, sur la colline de Faverges, le premier martyr de l’Écologisme, le premier mort de l’autoritarisme nucléaire… civil !
Nu-tête et les mains nues.
Nous savions déjà tout ça quand nous cheminions, l’angoisse au cœur et nos fils à la main…
Nous le savions déjà mais nous continuions de marcher dans cette Babel serpentiforme qui criait au monde ce vers de Shakespeare: » Contre la faux du temps, rien ne peut te défendre QUE TA LIGNÉE. »
Christian Jodon, Enseignant, Officier de réserve honoraire
Madeleine A., Enseignante
Les Amis de la Terre du Val d’Ysieux
Version collective; corrigée en 2008.
http://www.sos-valdysieux.fr