Agé de 90 ans, le baron Elie Robert de Rothschild est mort d’une attaque cardiaque lundi 6 août dans son pavillon de chasse Autrichien de Scharnitz à l’extérieur d’Innsbruck. Il possédait une demeure à Asnières sur Oise.

La dernière évasion d’Elie de Rothschild

Né le 29 mai 1917, sa vie d’aristocrate prit un tournant particulier, en Belgique, le 17 mai 1940. Alors jeune officier sous-lieutenant au 11e régiment de Cuirassiers. Comme d’autres, il fut prisonnier. Avec son frère Alain, il tomba aux mains d’une armée, qu’ils savaient déjà plus que menaçante pour eux. Pour le régime du IIIe Reich, posséder deux Rothschild était un « trésor de guerre ». Une revanche sur la tentative manquée de main basse de l’entreprise financière à aryaniser. En 1938, le baron Louis (de Vienne) fut arrêté. Un enlèvement et moyen de pression sur les autres membres de la famille aux ramifications européenne. Les nazis souhaitant acquérir les entreprises minières et sidérurgiques que la dynastie possédait en Tchécoslovaquie.
Une rencontre entre les représentants nazis et le groupe Rothschild eut lieu à Paris. Une première négociation fut un échec. La rançon fut proposée en couronnes tchèques, devises alors sans valeur au change. Une contre-proposition aboutit à une acquisition en livres sterling (versée sous forme d’action) et à la libération du baron Louis. Mais entre-temps, le groupe Rothschild avait flairé la guerre, qui pointait son nez. Par un judicieux système financier, il avait fait du complexe industriel tchécoslovaque, une propriété anglaise. Quant aux actions elle étaient aux mains de l’Etat de Vichy. Frustrés, les nazis allaient bientôt disposer de deux otages “symboles”, en la personne d’Elie et de son frère Alain.

Quartier V.I.P

Avec grand nombre de prisonniers, ils traverseront une partie de l’Allemagne à pied et entreront par train le 23 mai au camp de Nienburg sur Weser (l’oflag X B, en Basse Saxe). Après avoir été “aimablement” dénoncés par des camarades français, informés de leur projet d’évasion, les deux frères (ayant projeté de se faire confectionner une tenue civile) seront transférés dans la forteresse de Colditz (oflag IV C). Une prison à consonance politique, avec son quartier V.I.P. Des personnalités connues y étaient détenues, comme un fils de Léon Blum, Robert, fait prisonnier à Bar-le-Duc, un fils de Winston Churchill, Randolph, journaliste et correspondant de guerre pour le Daily Express, capturé à Narvick ainsi que le Comte Lascelles, neveu de la Reine d’Angleterre.
De ses cinq ans de captivité, Elie de Rothschild en avait rapporté une bonne condition de détention. Il relativisait avec celles de ses amis déportés. Il termina pourtant son périple de prisonnier de guerre au camp de Lübeck (oflag X C, dans le Schleswig-Holstein). Camp réputé parmi les plus pénibles. A partir du 28 mai 1944, les anti-Allemands et Juifs y sont transférés. Ancien combattant, prisonnier de guerre, il aimait narrer son passé de captif. Le baron Elie avait une histoire particulière au sein des Rothschild, qu’il partageait avec son frère Alain (décédé en 1982). Au moment ou la judengasse de Francfort était rasée par les bombardements alliés, il était en captivité. Deux cents ans après la naissance de son ancêtre Mayer Amschel, agent financier du landgrave de Hesse-Kassel et premier banquier de l’illustre dynastie.

 Dame Lilianne

Alors aux mains du Reich, le baron Elie épousa une amie d’enfance, Liliane Fould-Springer. L’union se fit par procuration, le 7 octobre 1941. Elle était son aînée d’un an. Ils s’étaient connus enfant, lorsque les deux familles se fréquentaient autour de Chantilly. Liliane Fould-Springer était la fille du banquier Eugène Fould et de la baronne Autrichienne Marie-Cécile von Springer. Ce couple avait fait l’acquisition en 1926, du Palais abbatial de Royaumont et des terres avoisinantes. La baronne Liliane et son frère Max y ont passé leur vie.
Après la guerre le baron Elie retrouva une activité dans la propriété viticole de la famille. Dans le Bordelais il s’attela à relancer les cépages de Château-Lafite, célèbre Premier Grand Cru classé de 1855. Pendant que son frère Alain et son cousin Guy (décédé en juin 2007) reprenaient place au siège de la banque, le baron préparait une nouvelle activité du groupe financier. Puis vint le moment de céder la direction à son neveu Eric, qui fonda la célèbre marque Domaines Barons de Rothschild. Elle regroupe désormais une vingtaine de Châteaux issus de différents cépages. Elie de Rothschild fut également actionnaire dans les remontées mécaniques au Mont Blanc à Brévent puis à Chamonix ou en 1972 le comte Dino Lora Totino lui revendra la totalité de ses parts.  Il détenait 25 % du capital de l’empire bancaire de la famille. Ancien président du conseil d’administration de la banque suisse Rothschild AG de Zurich, il avait participé à la reconversion de la compagnie ferroviaire Paris-Lyon-Marseille (PLM) en une chaîne d’hôtels et de restaurants. En 1979 il prit à son tour la présidence de la Banque, au départ de son cousin Guy. Pas pour longtemps puisque, deux ans plus tard, le gouvernement socialiste décida de nationaliser l’affaire familiale qui se replia à Londres et New York.

Madame Dandois

Son verbe d’un rien rebel complétait son aristocratie. Il a vécu. Profitant de sa fortune. En commençant par l’art. Grand amateur de peinture. Sa collection débute quand il a dix-huit ans. Après sa  première année de droit il demande à son père de lui offrir un paysage d’Utrillo. Dans son hôtel particulier il disposait des toiles de Rembrandt, de Dubuffet et de Picasso.
Sa cuisine était l’une des premières tables privées de France sous la conduite des chefs Henri Provenchère, Sylvain Bel… Son vin était le meilleur au monde. Il avait tout pour séduire. Les femmes évidement. Amateur d’évasion, on lui attribua diverses liaisons. François de Langlade (décédé en 1983) rédactrice en chef de Vogue, épouse d’Oscar de La Renta, célèbre styliste. La plus connue de ses maîtresses restera la veuve de Randoph Churchill. Pamela Digby, une arriviste anglaise que son épouse Liliane nommait en deux mots « cette femme ». Amante d’hommes riches qui compta comme conquête Giovanni Agnelli et Aly Khan deux amis du baron. Elle deviendra américaine en épousant MM. Hayward puis Harriman et terminera sa carrière comme ambassadrice des Etats-Unis en France ou elle décédera à l’hôtel Ritz en 1997. Sa dernière compagne révélée était Ariane Dandois, antiquaire d’art (place Beauvau), remarquée pour sa grande beauté et avec qui il aura une fille légitimée, Ondine de Rothschild. Du même âge que sa petite fille Esther-Eva.

La chute de l’ange

Il vivait ainsi. Jusqu’au décès à Manhattan de son petit-fils Raphaël (fils du baron Nathaniel). A 23 ans. Cet âge que le baron Elie avait, lorsque soixante ans auparavant, il était prisonnier. Tragique disparition, qui allait marquer le restant de sa vie. Ce 21 avril 2000, le temps venait de le rattraper. Pour lui jeter son sort le plus cruel. « Ceux qui sont le symbole, le sont à leur risque et périls », écrivait Oscar Wilde. Une phrase qui résume la vie du plus discret des Rothschild. Prisonnier déchu de sa nationalité en 1940 et « nationalisé » en 1981.
A la mort de la baronne, en février 2003, Royaumont devint l’un de ses derniers refuges. Tel le reclus qu’il avait été cinq ans durant et qui hantait encore son esprit. Il décède deux mois après le patriarche, son cousin Guy, mort en juin dernier à 98 ans. Elie était le dernier des Rothschild de la génération d’avant guerre. Lui qui disait "Je suis bien heureux d’avoir mon âge pour ne pas voir la Chine s’élever ", s’évade au moment ou justement le groupe financier a pris 5% d’une banque Chinoise. Et qu’il se consolider à traver l’union de ses banque d’affaires à Paris et à Londres, placées à l’avenir sous la seule tutelle de Rothschild Continuation Holdings, désormais dirigé par les barons David (fils de Guy) et Eric (fils d’Alain).

Fabrice CAHEN

L’Echo-Régional (Val d’Oise) lui avait consacré un large article dans son édition du 11 août 2004.