Le président du Conseil régional des notaire de la cour d’appel de Versailles répond aux questions de Vonews.

Vonews : Depuis lundi, les huissiers observent un mot d’ordre de grève et ce mercredi 17 septembre, les notaires sont à leur tour dans la rue. Où peut conduire cet affrontement avec le gouvernement ?

BoeffardMe Jean-Yves BOEFFARD : Les notaires ne sont pas les responsables de ce que vous qualifiez d’affrontement. Un rapport établi par l’Inspection générale des Finances (IGF) présente une analyse économique biaisée du fonctionnement de 37 professions et activités réglementées, dont les notaires. Il s’agit plutôt d’un réquisitoire à l’encontre des notaires. L’IGF stigmatise de manière choquante une profession qui a toujours été au service de nos concitoyens et de l’Etat.

Vonews : L’Inspection des Finances présente les notaires comme des privilégiés…

Me Jean-Yves BOEFFARD : C’est trop facile. Le notariat a une mission de service public, son rôle consiste à apporter une sécurité juridique dans toutes les conventions et les contrats ayant pour effet de constater des étapes importantes dans la vie de nos concitoyens tels que : acquisition d’un bien immobilier, donation, règlement d’une succession, établissement d’un contrat de bail, règlement des intérêts pécuniaires des époux lors d’une procédure de divorce, etc…

Le notaire vérifie également la régularité des actes établis, assure et contrôle les flux financiers qui en résultent, il vérifie que les obligations de chaque partie soient équilibrées, veille à l’application de la loi et apporte à chaque citoyen un conseil de qualité et la solution juridique adaptée à sa situation. Dans l’exercice de cette mission, le notaire prélève l’impôt dû aux collectivités territoriales ou à l’Etat selon la nature des actes qu’il reçoit sans aucun coût pour les collectivités ou pour l’Etat.

« Généralement, les clients ignorent la proportion entre les émoluments du notaire et les taxes prélevées ».

Vonews : Vous parlez des « frais de notaire » ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : Le montant réclamé par le notaire à l’occasion de l’établissement des actes dont je viens de parler est improprement appelé « frais de notaire ». D’où une certaine confusion. Généralement, les clients ignorent la proportion entre les émoluments du notaire et les taxes prélevées.

Prenons un exemple simple : Vous achetez un bien immobilier pour une valeur de 300.000 euros, les frais s’élèvent à 22 543 euros soit 7,51 % de la valeur.

L’émolument du notaire s’élève à 3 686 euros soit 1,23% et le solde, 18 557 euros, représente l’impôt et les débours.

L’échelle de grandeur est souvent de 1 pour le notaire et 9 pour l’Etat sur une somme de 10.

Vonews : Mais ce service public ne vous procure-t-il pas un monopole confortable dans cette période économique et sociale difficile ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : Cet argument qui est souvent mis en avant par les adeptes d’une concurrence effrenée, mais c’est nier toutes les obligations qui résultent du service public rendu par le notaire.

Les garanties qu’apporte l’acte authentique ont comme corolaire le respect de l’éthique et des règles déontologiques. Par exemple, le notaire intervient quel que soit le montant des capitaux traités. Le notaire ne peut pas refuser ses services sous prétexte que le dossier qui lui serait confié se révélerait impécunieux ou peu rentable.

L’obligation de neutralité du notaire apporte de sérieuses garanties aux clients. Le notaire ne doit pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre des contractants. Il doit veiller à une parfaite neutralité, à la recherche de l’équilibre, appliquer strictement la loi et apporter une sécurité sans faille quant aux objectifs recherchés par les personnes qui l’ont requis.

Vonews : Y compris dans le droit des affaires ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : Evidemment . Le notaire a l’obligation de ne jamais se livrer à des pratiques que l’on pourrait qualifier d’affairistes et de refuser tout avantage ou commission dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. Il doit dispenser à chacun des usagers du droit qui le requiert un conseil de qualité adapté à sa situation. Le notaire a interdiction de toutes démarches pour attirer en son office, de façon déloyale à l’encontre des autres professionnels, les personnes en quête d’une prestation juridique. Nous avons iinterdiction de faire tout acte de commerce, de nous intéresser directement ou indirectement à toute affaire que le notaire est amené à traiter.

Vonews : Vous considérez que le notariat, dans ses règles actuelles, protège
mieux les Français ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : Le service public des notaires est efficace, fiable. Les conséquences de la remise en cause seraient lourdes pour els Français et leurs familles.

Vonews : Le gouvernement promet pourtant de « redistribuer du pouvoir d’achat
aux Français » ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : Il y a bien des raisons d’en douter. Aux Pays-Bas qui ont initié uen telle réforme, le coût de nombreux actes a augmenté. C’est ce qui se passerait en France.

Vonews : Qu’en serait-il de la sécurité des actes notariaux ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : On pourait désormais tout contester devant les tribunaux : un titre de propriété, un héritage… Evidemment, les contentieux finiraient par se régler. Mais dans quel délai ? A quel prix ? Pour quelles garanties ?

Et que dire du secret professionnel : lorsque deviendait l’obligation de respecter un secret professionnel général absolu, aujourd’hui applicable tant au notaire qu’à l’ensemble de ses collaborateurs.

« Le notaire est un véritable chef d’entreprise»

Vonews : L’Etat argue que la protection de votre profession vous permet de bénéficier d’une sorte de rente de situation débouchant sur des revenus confortables.

Me Jean-Yves BOEFFARD :
Avant de vous répondre, je voudrais poser un préalable. Je suis allé vérifier dans le Larousse, la définition de rentier : « C’est une personne qui vit sans travailler de ses seuls revenus. » Compte tenu de ma responsabilité d’Officier public, de ma responsabilité de juriste, et de chef d’entreprise, je vous prie de croire que je travaille énormément.

Pour revenir au cœur de votre question , c’est effectivement ce qui a été mis en avant par le rapport général des finances, mais ce rapport ne tient aucun compte de l’aspect entrepreneurial d’une Etude de notaire. Le notaire est un véritable chef d’entreprise avec une structure plus ou moins complexe pour lui permettre de remplir ses missions qui ne se cantonne pas à la simple vente immobilière comme le laisse supposer le rapport général des Finances.

Le notariat français emploie plus de 47 000 personnes sur le territoire national soit plus que Renault en France. Abstraction faite de la délocalisation, puisque comme vous devez le savoir, le notaire ne délocalise pas.

Vonews : Etes-vous opposés à toute réforme de votre profession ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : 9 541 notaires exercent en France. Le nombre de collaborateur, je l’ai dit, approche 50 000. En 2013, on a signé dans nos Etudes quelque 3 710 000 actes. Les capitaux dont les notaires ont eu la responsabilité et le contrôle dans un souci de paix sociale s’élèvent à 600 milliards en moyenne par an.

Le nombre de clients reçus par l’ensemble des notaires sus le territoire est de 20 millions, le nombre de consultations non facturées aux usagers du droit sont environ de 8 millions par an, et il existe sur notre territoire 5.895 lieux de réception. Le notaire est plus souvent présent dans nos bourgs et villages que les bureaux de poste.

Il est vrai que l’on doit faire un effort pour augmenter le nombre de notaires, accueillir les jeunes en mettant au point des process moins complexes que ceux existant. Notre système juridique est un modèle pour de très nombreux pays dans le monde. d’ailleurs nous exportons beaucoup plus à l’étranger notre système notarial français, que nos véhicules ou nos aéronefs. Je ne vais pas vous citer tous les pays où les notaires se déplacent régulièrement pour installer notre système notarial en tenant compte des spécificités du pays demandeur, mais à titre d’exemple sachez qu’un notariat de modèle français a été institué au Vietnam, en Chine, en Mongolie, en Inde, au Cambodge, en Russie, en Serbie, en Roumanie, en Hongrie, en Algérie, au
Maroc.

Ces pays qui souffraient d’insécurité juridique sont convaincus qu’un système copié sur le notariat français est un vecteur de leur essor économique puisqu’il leur apporte sécurité, contrôle et un rempart contre la corruption.

Vonews : Les Français auraient-ils une mauvaise image du notarita qui aurait encouragé l’ex-ministre des Finances Arnaud Montebourg à enfourcher ce cheval de bataille ?

Me Jean-Yves BOEFFARD : Bien au contraire. Le notariat a toujours donné satisfaction à nos concitoyens. Le notariat bénéficie de 84% d’opinions favorables.

C’est un service public moderne sans aucun coût pour l’Etat et à la pointe des nouvelles technologies grâce à son propre réseau sécurisé d’échanges et de stockage.

L’acte authentique électronique des notaires Français est unique en Europe ainsi que nos fichiers concernant les testaments, les P.A.C.S. et nos bases de données immobilières permettant une meilleure transparence du marché.

Le notariat est une profession qui grâce à son tarif permet à tous les Français de disposer à proximité de leur lieu de résidence d’un service juridique de qualité.Enfin, on peut dire que les notaires et les collaborateurs qui exercent ce service public sont immergés dans la vraie vie. J’ai entendu le Premier ministre se plaindre de ce que les Français céderaient à une tendance à l’autodénigrement. Mais en sacrifiant le notariat, une profession qui rend un service public efficace sans peser sur les finances publiques, le gouvernement se tirerait une balle dans le pied.

Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER