Sportif depuis son plus jeune âge, il a l’athlétisme dans le sang. Même après un accident qui lui a paralysé la jambe gauche, le lanceur de poids n’a pas abandonné. Aujourd’hui champion de France et cinquième mondial dans sa catégorie, Badr Touzi s’entraîne sans relâche en vue des futurs Jeux paralympiques de 2024.

Badr Touzi n’était âgé que de 20 ans au moment de son accident. © Anaïs Meynier

D’abord le bras levé, Badr Touzi ramène le poids vers son cou. Il se courbe ensuite et après un grand pas sauté en arrière, sans dépasser le butoir, l’objet de 6 kg est lancé au loin. « C’est pas vraiment ça. Je n’arrive pas à me concentrer aujourd’hui », se désole-t-il, déçu de son tir. En plein entraînement au CDFAS d’Eaubonne, le sportif ne se démonte pas. Il y retourne en boitant et peste contre son orthèse qu’il attend toujours. En cours de fabrication, cette attelle sert à maintenir sa jambe gauche, affaiblie par une paralysie partielle.
 
« Ma jambe ne fonctionne qu’à 30 % de ses capacités », explique Badr Touzi. Pour preuve, l’homme de 34 ans la montre et la compare à celle de droite, bien plus musclée. La faute à un accident survenu en 2009 où il s’est fait renverser par une voiture. Alors seulement âgé de 20 ans, sa colonne vertébrale est fracturée mais sa moelle épinière n’est pas touchée. Une chance pour ce Pontoisien qui, aujourd’hui, entend briller aux Jeux paralympiques de 2024. « J’ai pas le choix, c’est à la maison, c’est chez nous ! Je suis obligé de faire quelque chose de bien », scande-t-il avec ses yeux rieurs. Pourtant, la route n’a pas été facile pour arriver jusque-là.
 

Après l’accident, la résilience

Tout de suite après l’accident et les deux opérations qui ont suivi, le passionné demande : « est-ce que je peux continuer à faire du sport ? ». Hors de question d’arrêter pour celui qui, depuis tout petit, fait du basket, de la natation ou encore du foot. Sa famille n’étant pas très sportive, à part un père cycliste, c’est à école qu’il commence à faire la différence. « J’avais des prédispositions physiques donc j’ai toujours été en haut du tableau », raconte Badr Touzi avec une espièglerie enfantine. Il raconte également cet été 2004 passé devant la télé à regarder les Jeux olympiques d’Athènes.
 

Recordman de France pour la seconde fois, le sportif est également cinquième mondial. © Anaïs Meynier

L’athlétisme devient rapidement son dada, notamment le saut en longueur et les épreuves combinées pour lesquelles il accède au niveau national. Mais, avec son accident, il ne peut plus courir comme avant. C’est à ce moment-là qu’on lui parle du handisport, une terre encore inconnue pour ce jeune athlète. L’handicap étant d’abord un peu compliqué à accepter, Badr Touzi choisit la natation, car sous l’eau, sa paralysie passe plus inaperçue. Pourtant, celui-ci ne résiste pas longtemps à l’appel du tartan des gymnases qui sonne comme un véritable chant de sirènes. Il se spécialise en lancer de poids et de disque.
 
« Il faut avoir beaucoup de force pour cette discipline. Le lancer est technique et explosif ! », souligne le Pontoisien au physique décathlonien avec son 1m94 pour 108 kg. Il se plaint d’ailleurs d’avoir un peu grossi ces derniers temps. « Il mange bien à la cantine », taquine son entraîneur, Julien Vrielynck, petit sourire complice au coin. Malgré sa morphologie imposante, l’athlète ne peut pas utiliser toute la force de son corps pour lancer le poids. « Avec ma jambe en partie paralysée, j’ai moins de force. Je dois compenser avec le haut de mon corps », précise-t-il, tout en continuant à s’exercer dans ce gymnase à l’odeur reconnaissable entre toutes, remplie de caoutchouc et d’asphalte, qui se dégage du revêtement du sol, à vous faire remonter de vieux souvenirs d’EPS. Le trentenaire parvient même à lancer son poids plus loin qu’au début de son entraînement, encouragé par son coach. « Reste bien dans l’axe ! », crie Julien Vrielynck de la table où il est assis.
 

Le manque de visibilité du handisport

Son entraîneur, Julien Vrielynck, était lui-même lanceur de poids. © Anaïs Meynier

Lui, ne veut pas se fier au handicap de son poulain. Bien sûr, il y a certains aspects techniques qu’il ne peut pas lui demander. « On tâtonne pour trouver des solutions. Par contre, sur le côté physique, je pars du principe qu’il est valide. Par exemple, il a moins de ressenti pour contracter la jambe mais même si c’est difficile pour lui, on travaille toujours à mettre plus de volume musculaire », indique celui qui évoque au passage le manque de visibilité dont souffre toujours le monde du handisport. Sa méthode d’entraînement n’est pas de tout repos, l’exigence étant reine.
 
Une technique qui paie puisque Badr Touzi collectionne quelques belles victoires. Champion de France depuis une douzaine d’années – « même plus je crois » -, il a également été trois fois médaillé européen. Le trentenaire a récemment battu pour la seconde fois le record de France avec un lancer de 13m83, soit 30 cm de plus que le précédent record qu’il détenait déjà. « Et encore, il n’a jamais lancé là où il a la capacité de le faire ! Le bonhomme a un gros potentiel. Il faut juste bien l’encadrer », réagit l’entraîneur. Dans le viseur ? Les championnats du monde de cet été et les futurs Jeux paralympiques de 2024, les deux se jouant à domicile.
 

Recordman de France

Badr Touzi n’en est pas à son coup d’essai. En 2016, il était déjà finaliste aux Jeux paralympiques de Rio. Pour autant, triste coup de sort, le lanceur de poids n’a pas été sélectionné pour ceux de Tokyo, quatre ans plus tard. « Il faut être dans le top 8 mondial pour être qualifié. J’étais neuvième mais un mec s’est désisté donc j’aurais dû pouvoir y participer », ressasse amèrement le Pontoisien dont le corps s’avachit dès qu’il en parle. Aujourd’hui, dans le top 5 mondial, il ne pense qu’aux futurs Jeux qui apparaissent comme une douce revanche.
 

Badr Touzi garde toujours en travers de la gorge le fait de ne pas avoir été sélectionné aux derniers Jeux paralympiques de Tokyo (2020). © Anaïs Meynier

S’il ne sera tenu au courant de sa sélection que deux ou trois mois avant la compétition, Badr Touzi a démissionné de son travail de commercial en 2020 pour se donner entièrement aux entraînements. Un risque pour celui qui ne vit désormais que des subventions du département du Val-d’Oise et de son club sportif. « Je cherche aussi des sponsors. Mais c’est un peu compliqué quand on a un handicap car nous sommes peu médiatisés et les entreprises ont du mal à mettre la main à la poche », dépeint ce dernier. Mais, il n’a pas vraiment le temps de penser à ça, lui qui s’entraîne huit à neuf fois par semaine, la tête pleine de rêves olympiques. Et, ce jour-là, comme une bonne augure, Badr Touzi atteint les 13 mètres à la fin de son entraînement. « C’est la première fois qu’il lance aussi loin durant un exercice », partage fièrement Julien Vrielynck.