Hicham Berrada, dont on a pu voir récemment des œuvres au Palais de Tokyo et au Fresnoy, présente sa nouvelle exposition personnelle, du 8 octobre au 22 avril à l’abbaye de Maubuisson. Artiste-laborantin, il développe une pratique qui englobe l’installation, la performance, la vidéo, le son et la photographie.

Hicham Berrada - arbre protégé - ©-ADAGP-Hicham-Berrada

Hicham Berrada – arbre protégé – ©-ADAGP

Ses créations s’appuient sur des connaissances scientifiques – chimie, physique des fluides, nanosciences, etc. – Il compose des tableaux chimiques qui évoluent constamment. Sa démarche s’apparente à celle d’un peintre. Hicham Berrada maîtrise des phénomènes et agit sur la réalité comme un peintre maîtrise ses outils et intervient sur sa toile. Son travail transporte le visiteur dans un monde à la fois vivant et inerte, proposant de réfléchir sur la nature, la matière et le temps.

Les œuvres d’Hicham Berrada naissent d’une conception de l’art associée aux dernières avancées scientifiques. Dans sa quête, l’artiste recherche ce moment de dévoilement où l’invisible prend forme devant nos yeux. Hicham Berrada associe intuition et connaissance, science et poésie.
Il met en scène les changements et les métamorphoses d’une « nature » activée, chimiquement ou mécaniquement. Du laboratoire à l’atelier, de l’expérience chimique à la performance, l’artiste explore dans ses œuvres des protocoles scientifiques qui imitent au plus près différents processus naturels et/ou conditions climatiques.

 

À Maubuisson, Hicham Berrada présente une exposition regroupant trois nouvelles pièces inédites produites pour le centre d’art contemporain, une vidéo et une performance réalisée à l’occasion de Nuit Blanche le samedi 7 octobre à 19h.

08 octobre - l'aquarium - Hicham Berrada

Les matériaux qu’il utilise pour l’exposition sont présents dans la nature : lumière, eau, terre. L’artiste joue avec ces éléments naturels et les lois qui en découlent. Hicham Berrada provoque la nature et la détourne de ses habitudes : « j’aide la nature à accomplir des choses qu’elle sait faire, mais qu’elle fait rarement ». Dans l’aquarium présenté dans la salle du chapitre, ou lors de ses performances filmées, il orchestre, agence et transmute les énergies pour créer une situation, des rencontres entre les éléments ou encore accélérer les effets du temps et de l’entropie.

 

 

 

Interview

Hicham Berrada, portrait dans son atelier. Photo, archives kamel mennour

Hicham Berrada par Mouna Mekouar, publiée dans le catalogue du Palais de Tokyo,

saison Soleil froid, 2013

 

Opérant à la façon d’un chimiste et d’un démiurge, Hicham Berrada associe intuition et connais­sance, science et poésie, pour mettre en scène les métamorphoses d’une « nature » activée. Son œuvre propose ainsi un regard sur le monde saisi selon une temporalité excédant l’humain.

 

Mouna Mekouar (MM) : Ta pratique se situe au croisement de l’art et de la science. Com­ment la rencontre entre ces deux disciplines s’est-elle opérée ?

Hicham Berrada (HB) : Mon intérêt pour la science comme forme de culture universelle a toujours nourri ma pratique plus que n’importe quelle période ou n’importe quel courant de l’histoire de l’art. J’aime m’inscrire dans des processus déjà établis dans lesquels je me considère comme une force parmi d’autres, et non comme le créateur absolu. Je pars du principe que tout existe dans la nature et que nous lui appartenons en tant qu’humains. Dans ma pratique, j’essaie de maîtriser des phénomènes naturels que je mobilise comme un peintre utilise ses outils et médiums. Disons que mes pinceaux et pigments sont le chaud, le froid, le magnétisme, la lumière…

 

08 octobre - Hicham Berrada à l’abbaye de MaubuissonMM : En explorant la science et ses possibles, tu y découvres des moyens de création. Par exemple dans Natural Process Activation (NPA) #3 (Bloom) (2012), tu t’empares de la compréhension d’un phénomène naturel.

HB : Pour cette œuvre, je me suis effectivement intéressé au processus d’éclosion des fleurs et à la façon de le déclencher artificiellement. Faire éclore une fleur à un moment donné, c’est un émerveillement, mais cela suppose également de réunir des conditions techniques extrêmement précises. Mais ces dernières ne sont pas vraiment documentées, car il n’existe pas d’applications pratiques à cette technique. Afin d’exprimer une relation entre temps et énergie, j’ai suréclairé des fleurs durant la nuit de façon à forcer leur éclosion. Le phénomène de l’éclosion a son temps propre, dicté par la quantité de lumière que la fleur doit recevoir. Dans des conditions normales, ce temps demeure imprévisible et varie selon la luminosité et la chaleur. Grâce à notre connaissance de la quantité de lumière nécessaire et en utilisant une source lumineuse modulable, il est possible de décider de l’instant précis auquel la fleur va éclore.

 

MM : Il s’agit donc plutôt de contrôler le temps.

HB : Le temps me fascine. C’est une des rares forces que l’on ne peut pas contrôler expérimen­talement. Mais on peut agir sur le temps perçu. Les hommes aiment accélérer les choses. Je ne m’inscris pas en opposition à cette tendance. J’agis comme un catalyseur, action courante de l’homme dans la nature.

 

MM : Certaines de tes œuvres s’inscrivent dans un temps long, au-delà des limites de l’existence humaine.

Présage paysage chimique en évolution © ADAGP Hicham Berrada

Présage paysage chimique en évolution © ADAGP Hicham Berrada

HB : Dans (NPA) #1 (2011), par exemple, j’ai déversé de la poudre de fer et de l’acide dans un champ. Dans vingt-cinq mille ans, des cristaux devraient se former en réaction. Il est aussi possible que ces cristaux ne se forment pas, car certains facteurs ne peuvent pas être maîtrisés. J’aime la virtualité du monde, tout ce qui potentiellement pourrait être ou ne pas être.

 

MM : Cette œuvre induit une position plus modeste, en retrait.

HB : Comme souvent dans mon travail, je ne fais que choisir des règles, des conditions (dimensions, température, pression, luminosité) pour ensuite passer du côté des spectateurs et regarder les processus se mettent en route.

 

MM : On retrouve ces questions de temporalité, mais aussi d’incertitude dans ton œuvre NPA #2 (Arche de Miller) (2011-2012).

HB : Avec l’Arche de Miller, j’ai essayé de créer un morceau de nature fonctionnelle et autonome. Le principe est le même que celui de l’arche de Noé : conserver la vie. Mais l’échelle est différente : il ne s’agit pas de conserver les formes finies, les animaux, mais le principe même de la vie. Comme pour NPA #1 que tu évoquais précédemment, cette œuvre échappe à l’échelle humaine du temps. La vérification de l’expérience ne pourra se faire que dans des millions d’années. Cela nous rappelle que la nature n’a pas besoin de nous pour fonctionner. C’est aussi une pièce sur la contingence : ce qui apparaîtra sera peut-être différent de ce qui est actuellement.

 

MM : Présage (2012) que tu présentes au Palais de Tokyo semble suivre un même chemin : en précipitant divers produits chimiques dans un bécher, tu fais émerger un monde.

HB : J’ai appelé Présage cette apparition contrôlée d’un paysage. Pour autant, il ne s’agit pas d’une seule et unique expérience, car je ne me limite pas dans l’emploi des produits chimiques. Je continue de chercher et d’expérimenter de nouvelles combinaisons. Je pars toujours d’une idée qui m’enthousiasme profondément, dont la réalisation technique va comporter une part d’inconnu et donc d’expérimentation, d’apprentissage. Ainsi, la technique et la poésie ne s’opposent pas, bien au contraire, elles sont tout à fait imbriquées l’une dans l’autre dans mon processus de travail.

 

MM : À l’image de la nature, ton travail donne à voir des formes toujours changeantes.11178_916_Hicham-Berrada-Courtesy-de-l-artiste-et-des-galeries-Kamel-mennour-et-CulturesInterface

HB : Une forme est toujours en évolution, en mouvement, même si l’on ne le perçoit pas à notre échelle de temps. Les animaux, dont nous sommes, se situent dans une échelle de temps extrê­mement court. C’est pourquoi nous croyons que les formes sont figées ; la pérennité n’étant, de fait, qu’une illusion de la perception humaine. Plutôt que la forme, c’est la morphogenèse qui m’intéresse, les règles qui déterminent les formes.

 

MM : La performance est au centre de ta pratique. Est-ce parce qu’elle transforme la scène en laboratoire et le laboratoire en scène ?

HB : La performance permet d’utiliser le temps comme un matériau. C’est donc un médium particu­lièrement adapté pour restituer quelque chose qui se passe dans un temps donné, avec un début et une fin, comme une réaction chimique. J’aime l’idée que dans la nature, selon l’échelle de temps sur laquelle on se place, rien n’est figé, tout est en mouvement. La performance permet de saisir ce mouvement. Elle fonctionne en outre comme un rituel et confère un caractère sacré, magique, à son objet.

 

 

Autour de l’exposition :

Vernissage : samedi 7 octobre 2017 à 17h

Nuit Blanche, Vidéo-performance : Présage par Hicham Berrada et Laurent Durupt, samedi 7 octobre 2017 de 19h à 24h

Conférence : le paysage par Hicham Berrada, dimanche 15 octobre 2017 à 11h

Performance : Arachnovégéta de Julien Salaud, dimanche 15 octobre 2017 à 15h et 16h30

Exposition + Cinéma + rencontre : projection du Film Mulholland Drive de David Lynch au cinéma Utopia de Saint-Ouen l’Aumône, en présence de l’artiste Hicham Berrada, jeudi 15 mars 2018 à partir de 18h30