Hearing est une pièce à la fois joyeuse et vertigineuse, où la mise en scène épurée et subtile nous renvoie sans cesse à « ce que nous ne disons pas, mais qui est entendu », les 17 et 18 octobre au Théâtre des Art.

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Au soir du Nouvel An, à Téhéran, dans un dortoir universitaire exclusivement féminin, la jeune Samaneh croit entendre une voix masculine émaner de la chambre de son amie Neda. Se pourrait‐il qu’un homme ait pu entrer dans le bâtiment fermé à double tour et aux fenêtres verrouillées ? C’est pourtant ce que laisse entendre un rapport anonyme, que personne n’a lu. Décidée à connaître la vérité, l’étudiante responsable du dortoir ce soir‐là, interroge tour à tour les deux jeunes femmes.

À partir d’un événement aux apparences anodines, Amir Reza Koohestani s’interroge sur « les modalités si étranges de notre perception de la réalité. Comment et pourquoi nous jugeons que ceci ou cela est réel ? ».

 

Amir Reza Koohestani • Mehr Theatre Group

Spectacle en persan surtitré en français

 

 

 

 

 

Délicatement, subrepticement, les voix se dévoilent. Sur le plateau à nu, seulement découpé de carrés de lumière, deux jeunes femmes voilées répondent l’une après l’autre à un interrogatoire muet venu du public, scrutant la masse noire et compacte, jusqu’à ce que soudain, au cœur des ténèbres, assise en bout de gradin, s’éclaire et prenne la parole une figure, voilée aussi. Les questions fusent, l’intrigue se dessine…

Dans un internat, pendant les vacances, Neda aurait fait entrer son petit ami dans sa chambre et aurait rigolé avec lui. Cependant, le bâtiment des filles et ses soixante chambres sont une forteresse imprenable fermée à double tour, des barreaux aux fenêtres, régie par une discipline implacable. Le soir du Nouvel An, Samaneh ne voulait pas que son amie Neda reste seule, elle est donc venue la chercher. À travers la porte, elle a entendu la voix d’un homme, mais elle ne l’a pas vu. Elle n’a pas frappé puisque Neda n’était pas seule. Il n’y a donc aucune preuve. Pourtant un rapport aurait été écrit. Mais par qui ? La chef de dortoir, celle qui détient la clé du bâtiment, absente ce soir-là (aurait-elle découché ?) les interroge l’une après l’autre, puis ensemble.

Cet épisode de la vie d’un internat en Iran, dont on ne connaîtra jamais la véritable issue, changera en revanche radicalement et irrémédiablement la vie des deux jeunes femmes. L’une d’elles apprendra à faire du vélo pour trouver du travail lors de son exil en Suède. Elle aime encore monter la côte pour la redescendre en roue libre, sans jamais freiner. Il n’y a pas d’entreprise métaphorique ici, tout est dit, Amir Reza Koohestani écrit, crée et joue ses spectacles sous le regard vigilant de la censure du pouvoir en place, et il dit tout ce qu’il a à dire sur la société iranienne contemporaine. Même s’il utilise les codes dramaturgiques de nombre de ses confrères occidentaux – espace vide, vidéo, absence de quatrième mur –, le théâtre de Koohestani est purement oriental au sen où il est dépourvu d’hystérie.

Ce théâtre intelligent, politique et d’une ascétique somptuosité est aussi un théâtre plaisant, joyeux en dépit de ce qu’il relate. C’est un théâtre fort où ce qui est en cause est l’homme aux prises avec lui-même, l’homme dans la cité. Ici, rien de dégradant n’est mis en jeu : pas d’affaires intimes, pas de questions d’argent, de sexe débordant. Aucun commentaire. Jamais un bon mot, jamais un prêche, jamais une dénonciation. Ce théâtre-là n’est pourvu d’aucun manichéisme qui opposerait les sociétés démocratiques et les autres, les bons et les méchants, le Nord et le Sud. Il y a au cœur de ce théâtre sans folklore et indéniablement inscrit dans la société iranienne d’aujourd’hui un argument inattendu, une critique sociale qui mène hors de l’ennui des stéréotypes et mobilise le ressort le plus secret du plaisir : la subtilité.
Hervé Pons – Supplément Les Inrocks, consacré au Festival actoral.15